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DERNIERS EFFORTS ET MORT DU PREVOT 25

Les jours tristes se succèdent, les défections. Un à un, furtivement, parce qu’ils savent commettre une faute, les membres des Etats abandonnent leur chef. L’infâme parti royaliste, à la tête duquel pérore le bourgeois Jean Maillard, prend nettement parti contre le prévôt, réclame son incarcération, sa mise en jugement et fait des voeux publics pour le retour triomphal du régent. Le peuple qu’affole la famine réclame la tête de Marcel.

Un soir (j’aime de l’imaginer sans lune, glacial, désolant, ce soir !) le prévôt des marchands songea pendant de longues heures, devant son feu, à l’avenir : d’hallucinantes formes lui apparaissaient emmy les flammes, ressuscitaient tout le passé. Qui, lorsqu’il devine la mort assise à sa droite, ne caresse de pensées tendres les blancs cheveux de sa mère ? un coup de vent parfois saccageait le trésor, chavirait les bûches. Alors, il se penchait davantage, son dur profil se confondait avec ses rêves.....

L’impossible, ne l’a-t -il point essayé afin d’éviter les désastres qu’il pressentait ? Mais puisque le duc de Normandie se complaît dans la mauvaise foi, Etienne certes ne lui servira pas d’otage. Charles de Navarre, l’ambitieux prince, n’est pas très loin derrière les murailles ; il suffit d’un signe, d’un appel : on le sacre roy de France. Qu’est-ce qu’un changement de dynastie pour Marcel ? qu’est-ce même que la France ? il a usé sa vie pour l’humanité tout entière, jamais spécialement en faveur de cette patrie, si impatiente de le renier, si avide de le voir mourir. « Trahir sa patrie », existe-t -il au monde une expression aussi dénuée de sens ? qui blasphème Dieu, sans y croire, celui-là n’est pas raisonnable ? et Marcel ne croit ni à la patrie, ni en son Dieu.

Cette nuit, il ne dort pas, il envoie un message à Charles le Mauvais qui transmet sa résolution de lui livrer Paris. A son reçu, Charles de Navarre répond, par ses émissaires, qu’il se tient prêt à entrer dans Paris et à ceindre la couronne. Etienne Marcel, délesté du poids qui l’oppressait, prend les clés de la cité. Il les palpe, les considère : on peut ouvrir une ville, pas son coeur. Un amant ne regarde pas avec une telle fixité le corps de sa maîtresse, lorsqu’elle le découvre. Il joue avec les clés, maintenant, comme une courtisane avec son miroir, les aligne sur une table, par rang de taille. Ce n’est pas sans un âpre ricanement intérieur qu’il contemple, entre ses mains, brillante comme un minuscule poignard, celle par quoi va changer la destinée du’un pays. Un seul tour de cette cli, la France ne sera plus la France. La délibération ne l’embarrasse pas davantage et, voici que, suivi de quelques rares amis, le prévôt, par les plus étroites ruelles et les plus malodorantes, gagne la bastille Saint-Denis. Sur son passage, s’élèvent les grognements de ses compatriotes, cochons qu’il engraissa et dont il méprise aujourd’hui la sale viande.

En marchant, Etienne Marcel soliloque : « Il n’est pas une minute de mon existence où je ne fus prêt à mourir. N’ayant espéré de la vie rien, j’attends tout de la mort. Car la mort ressemble à l’amour qui, sur un lit défait, couche, pour des chevauchées adorables, la reine de France et son palefrenier. 11 en va ainsi de sa soeur qui égalise tous les êtres, enfin, sous le marbre des tombeaux. La mort, l’amour ! jambes entrelacées, paupières closes, extase des couples évanouis ! Les grandes amoureuses et les moribondes, rien ne les distingue et la grâce du corps qui se donne, je la compare à l’abandon du corps qui se raidit. Le spasme de la volupté, je l’imagine moins doux encore que le râle de l’agonie. Nuits silencieuses où du fond de l’espace se répondent la mort et l’amour, comme deux bouches étoilées, nuits de baisers, d’offrandes, de renoncement et d’adieux, voici qu’en ce clair matin, je vais à vous. Si je dois succomber demain, tout à l’heure, que dis-je, à l’instant, ce sera sans regrets. Cet amour de la mort que j’entretenais en secret, n’était-ce pas la seule excuse valable par quoi je me donnais des raisons de vivre ? »

Ils arrivent devant la bastille Saint-Denis. Le prévôt se détache, du groupe. Comme il s’apprête à ouvrir les portes, voici que retentissent des cris, une foule glapissante les entoure A la tête de ces hideux bourgeois,dont la gueule ferait vomir les chiens, reconnaissez Jean Maillard, capitaine quartenier de la ville, qui se repaît à l’avance de son ignominie. Tout de suite, il désigne Marcel qui reste insensible à ses outrages ; il l’accuse de haute trahison. Les amis du prévôt dégainent. Jusqu’à sa fin, pacifique, Marcel, qui les domine tous de sa haute taille, essaie, mais en vain, d’apaiser les fureurs réciproques. Il se détourne, pour haranguer les siens. C’est alors cpie Maillard le lâche rampe comme une hyène, renifle sa victime. Puis, subitement, saisissant une lourde hache, il assène, par derrière, un coup formidable sur le crâne du prévôt. Le sang ruisselle ; la cervelle, ce flocon de neige, jaillit contre le mur. Une seconde, Marcel reste debout, puis, comme un grand aigle foudroyé, s’abat, au seuil de cette porte qu’il n’ouvrira jamais (1358