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REVES
la cour. J’arrive à l’atteindre et la trouve toujours aussi grave, aussi essentiellement silencieuse. Elle me tend une main que je serre ; et durant les quelques instants où nous allons côte à côte vers la cour qui recule à mesure que nous pensons l’atteindre, je songe au heurt douloureux et angoissant de nos deux pensées. Je sens tout l’irrémédiable de notre union, sans comprendre, et pourtant avec la force d’un espoir que je sais être toujours le même. Je devine que sous d’autres latitudes nous aurions peut-être, tous les deux, préféré l’indifférence...
Au moment où la jeune femme fait mine de m’enlacer, je suis éveillé pour des causes étrangères au rêve.
Michel Leiris :
C’est un rêve de voyages. Nous sommes plusieurs à errer dans le continent entier en prenant voitures, auto-cars, chemins de fer. Il y a des crimes dans les stations isolées, les hôtels dans lesquels nous descendons sont parfois attaqués par des bandits et le revolver y est de rigueur. Dans une ville de province, je suis juré et j’assiste à une condamnation à mort (sans doute celle d’une femme de chambre).
MarcelNoll, qui voyage avec moi, me montre dans une rue d’un faubourg de Paris le matelas de 30 mètres de long qu’il emporte toujours en voyage. Deux couplespeuvent y dormir, chacun à un bout, mais ils risquent de se perdre dans le long tunnel des draps. En route, ce matelas sert de valise ; Noll roule son bagage dedans et entoure le tout avec- une courroie. Il y a Rimbaud aussi (ou Limbour ?), sous la forme d’un enfant souffreteux, physiquement analogue à ceux que l’on appelle « gibier de bagne ». Il traverse
comme tous les person-
nages de ce rêve
plusieurs cycles de mort
et de résurrection.
Dans une ville que nous visitons, sur une grande place où se dresse une statue de plâtre, un monsieur en redingote qui merappelle le fantôme de Gérard de Nerval apparu une nuit dans ma chambre, il y a un bagne sur le fronton duquel sont gravés ces mots : PALAIS DU GREFFE (je voudrais lire PALAIS’ DES GREFFES). Des femmes assez jolies, mais d’allure populacièrc et très pauvrement vêtues, se dirigent par petits groupes vers le monument. Je les entends parler entre elles. Elles doivent se hâter de rentrer au bagne où elles sont détenues, sinon elles seront en retard et punies du fouet ou de la torture. C’était leur jour de sortie ; elles sont allées voir leurs maîtresses et ont perdu du temps à les caresser. LAFIN DESMAUVAISJOURS
PierreJiuy
Car ces femmes sont lesbiennes parce que les hommes ne veulent pas d’elles à cause de leur vêtement misérable et de l’infamie de leur condition.
Accompagné de ma fiancée, j’entre dans le bagne. Nous voyons d’abord une sorte de cloître le long duquel stationnent un grand nombre d’enfants, surveillés par des femmes d’aspect aristocratique (et sans doute anglo-saxonnes) qui sont les épouses des geôliers (des «colons », ainsi qu’on les appelle)- Ces enfants sont habillés à l’anglaise et portent des cartables de cuir sous le bras. Cesont les fils des détenus ; ils attendent l’heure d’entrer en classe. Au delà du cloître commence le Musée. Ce lieu tient à la fois du MuséeGrévin, du Musée Carnavalet, du Parc des Attractions, de l’Exposition des Arts Décoratifs, du Salon de l’Aéronautique et du Jardin des Supplices d’Octave Mirbeau.
Nous savons que ce musée est une sorte de Muséede la Peur et nous y pénétrons en redoutant la sorcellerie.
D’abord, ce n’est pas bien terrible. Il fait seulement assez sombre e1 nous voyons des appareils assez analogues aux nègres-dynamomètres, mais composéspresque uniquement d’ampoules électriques mobiles, multicolores, figurant des démons. Ensuite ce sont de vastes