CHRONIQUES nouveau: avec lui nous devons engager la lutte au couteau. Les gens-là ont raison. Dieu, le vrai et non pas un mannequin à leur usage, Dieu est avec eux et nous ne sommes, nous, qu’une poignée de maudits. Un Dieu juste, rigoureux aux fourbes, aux grands voleurs, à tous les enfants de ce siècle, voilà une bien optimiste conception. Pourquoi Dieu ne serait-il pas l’impitoyable tortionna-e de toute grandeur ? Comme ce serait facile ! Vertu, pureté, simplicité, résignation, puis la mort — un sourire — et l’éternelle béatitude. Je me suis révolté contre ce flot de douceur, je ne veux pas de , cette paix née de la lâcheté, la pire, lâcheté, celle de la pensée. 11 faudrait croire comme tous ces faibles, répéter la leçon apprise, murmurer des paroles que l’esprit condamne. Non ! Je veux ma place dans le cortège, entre l’assassin et le blasphémateur. Jamais un mot que l’esprit rejette. Se concentrer sur soi-même, se raidir. Quel vide, quelle solitude ! La lâcheté ou la douleur, il n’y a pas pour nous d’autre choix possible. Et il faut choisir. Vingt fois, jadis, j’ai senti sourdre en moi cette pensée ; j’ai fui. Je ne peux plus fuir : je te jette sur le papier, pensée terrible, et le papier est mon témoin. Demain, si notre ignominie ne s’avère pas absolue, ce sera toujours l’angoisse, en fin de compte, qui nous fera cortège. Réconfortante, pensée. — VictorCruslre. DE L’USAGE DES GUERRIERS MORTS Une nouvelle religion s’est établie depuis la guerre, une religion qui réalise vraiment l’union sacrée entre tous les hommes de tous les pays combattants, dont tous les vivants sont les prêtres austères, une religion plus absurde et plus laide encore que les autres : celle des morts. Et de quels morts I Asservis à tous les mensonges, à tous les commandements d’une société basée sur la réalité la plus basse de l’homme, ayant prouvé leur impuissance à désobéir, ayant confirmé qu’ils n’étaient, en fait de héros, que les courtisans de la mort et les bons serviteurs de leurs maîtres. 11 leur fallut, pour se battre, être revêtus d’une livrée. Quel enfer ne méritaient-il s pas ? Les boeufs menés à l’abattoir ne sont plus dignes de leurs cornes. Honte à tous ces soldats qui, si longtemps, perdirent le goût de la liberté, bonté à tous ces guerriers gardés par des gendarmes. Et surtout, honte à ceux qui sont morts, car ils ne se rachèteront pas. Tout ce sang versé dans des auges sert maintenant à recopier les préceptes usés de la morale chrétienne ou sociale, tout ce sang versé pour la terre et l’argent attente à la sûreté de l’esprit. Ils ont, contraints et forcés, pour les uns, servi l’idée de patrie, pour les autres, renforcé le sens humain des sacrifices inutiles. Les uns les peignent en trois couleurs, les autres les brandissent pieusement contre l’impudence des vivants. Les morts sont de toutes les fêtes, on les met à toutes les sauces un peu comme Dieu. Je vous l’assure, ce sang ne crie pas vengeance. Les esclaves morts sont toujours des esclaves, le néant. Il y a 1.500.000 morts, il y a dix millions de morts, il y a quinze cents milliards de morts, les cimetières et les Arcs de Triomphe ne sont que des symboles, la terre est pleine de morts. La paix ! Ce n’est pas un respect immodéré de la vie qui nous inspire, mais le jour où il nous plaira de nous persuader de notre mort, nous ne nous tourmenterons certainement pas longtemps de cette idée. Le respect des morts, c’est la peur de la mort, c’est le respect de la lâcheté devant la mort. Le courage pourtant était facile. Reconnaître ses ennemis, les compter, ne plus les oublier. Mais l’ordre leur a été donné d’avancer sans se retourner. Leur ennemi était derrière eux. Sauf ceux qui fuyaient Je feu, ils lui ont sans cesse tourné le clos. Crime impardonnable. Puisqu’il n’a plus la parfaite candeur des enfants, l’homme ne peut plus, sans s’accuser de lâcheté, se soumettre comme eux. Qui connaît le mal le combattra, à quelque altitude que ce soit. Et silence sur tous ceux qui ont accepté le mal. Que notre pensée à jamais leur interdise son domaine. Et que leurs frères encore vivants retournent se faire tuer sur leur champ d’honneur. — Paul Eluard. TYRANNIE DU TEMPS Le sang -des révolutions ; le sang des victimes, voilà un filet dans lequel je ne me laisserai jamais prendre. Autant en emporte ma colère. La croix des supplices, c’est cette tyrannie du temps ; cette invention d’hommes qui sont les rouages de ce cap et de ces îles misérables. Europe mythologique, tu manqueras toujours de croyants. Croire pour demeurer, pour mourir dans un fosré confortable; bien aéré! Que m’importe Jes pulsations du temps (qu’il ne faut pas confondre avec les battements du-coeur), l’horloge des usines et la gorge coupée. Enfermez le spectre de la liberté dans vos murs, je défie qu’un me pose vraiment la main sur l’épaule, puisqu’il faut bien croire après Saint-Just qu’il ne saurait y avoir, pour un révolutionnaire, de repos que dans la tombe et avec Sade se flatter de disparaître de la immoire des hommes. — André Masson.
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