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CONFESSION D’UN ENFANT DU SIÈCLE 9 L’amour n’a pas changé pour moi. J’ai pu me perdre dans des déserts de vulgarité et de stupidité, j’ai pu fréquenter assidûment les pires représentants du faux amour, la passion a gardé pour moisa saveur de crime et de poudre. Ceux que j’ai le plus aimés, ceux que j’aime le plus, je ne rêve rien tant que d’être séparé d’eux, que de vaincre leur tendresse, quitte à souffrir cruelle. ment de leur absence. Je ne sais jusqu’où l’amour conduira mes désirs. Ils seront licites puisque passionnés. Révolution, tendresse, passion, je méprise ceux dont vous ne bouleversez pas la vie ; ceux que vous n’êtes pas capables de perdre et de sauver. Voici que le livre abandonné sur une plage océanique s’ouvre de lui-même à la page ésira blc. Le soleil, car il est temps de constater sa présence, disparaîtra peut-être lotit à l’heure. Mais le temps [liesse. Nous plongeons dans une eau plus salée que de coutume car ses pleurs, les pleurs de ia femmecpie nous sauverons, y coulent sans cesse. — Où allcz-VOUS? dit le douanier qui survicnl au bon moment. — Nous allons la chercher, Durant l’éternité la mer roulera nos corps robustes de nageurs accomplis et nous parviendrons jusqu’à elle. Elle descendra les marches du musoir et nous tendra les mains et puis... «El puis en voilà des histoires»,me dit la plume avec laquelle j’écris. L’écouterai-je? Tout ici respire le calme et le bon sens. Mon histoire s’arrête. Le buvard fatigué de saigner dans les poèmesde deux générationsd’imbéciles, ’encrier, la fenêtre, tout n’est-il pas logique et asservi à des fins limitées. Cependant j’ai vaincu la lassitude. Je n’ai perdu aucune de mes illusions ou plutôt je n’ai perdu aucune de ces précieusesréalités nécessairesà la vie. Je, je et je vis et désire et aime. Quand je ferme les yeux un monde merveilleux, cette épithète revient souvent dans mon vocabulaire et c’est justice, s’ouvre[jourmoi. Il ne disparaît pas quand je les ouvre. Chère dmibIe vie! Quand je parle comme tout le monde, je parle aussi avec des créatures fabuleuses. On me croitici,et calme, je suis aussi ailleurs, en des régions bou’eversantes inconnues de tous. J’ai dit que je vivais double. Seul dans la rue ou parmi les gens j’imagine constamment des péripéties inattendues, des rencontres désirées. Les gens que je connais en sont parfois les protagonistes, J’use d’eux ii leurinsu. Ils mènent ainsi au gré de mon rêve une cxis«  lence que je suis seul à connaître. Qui n’ai-je pas possédé de la sorte, que n’ai-je pas réduit à l’impuissance ?

J’ai fait jouer à tant de gens des rôles 

divers dans des tragédies que bientôt leur physionomie même se modifieà mes veux. Je ne fais plus le partage entre leurs allions propres et celles que je machine. Les paysages familiers servent aussi de théâtre à mes actions idéales. Ils prennent de ce fait un charme neuf. D’autres fois ce sonl des villes nouvelles, des continents que je construis pour ma satisfaction. l’.l vivre ne m’est supportable qu’à ce prix. J ai ce privilège depuis nia tendre jeunesse. Qu’il arrive réellement ceci ou cela, qu’importe puisqu’en même temps il m’arrive autre chose. Je poursuisainsi à l’état de veille ma personnalité des rêves nocturnes. La succession des OISEAUPERCÉ DE FLÈCHES AndréMasson.