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LETTRE

AUX

VOYANTES

A Georges Malkine.

MESDAMES,

il en est temps : de grâce faites justice. A cette heure des jeunes filles belles tomme le jour se meurtrissent les genoux dans les cachettes où les attire tour à tour l’ignoble bourdon . blanc. Elles s’accusent de péchés parfois adorablement mortels (comme s’il pouvait y avoir des péchés) tandis que l’autre vaticine, bouge ou pardonne. Qui trompet-on ici V

Je songe à ces jeunes filles, à ces jeunes femmes qui devraient’mettre toute leur confiance en vous, seules tributaires et seules gardiennes du Secret. Je parle du grand Secret, de l’Indérobable. Elles ne seraient plus obligées de mentir. Devant vous comme ailleurs elles pourraient être les plus élégantes, les plus folles. Et vous écouter, à peine vous pressentir, d’une main lumineuse et les jambes croisées. Je pense à tous les hommes perdus dans les tribunaux sonores. Ils croient avoir à répondre ici d’un amour, là d’un crime, lis fouillent vainement leur mémoire : que s’est-il donc passé’ 1?Ils ne peuvent jamais espérer qu’un acquittement partiel. ous infiniment malheureux. Pour avoir l’ait, ce qu’en toute simplicité ils ont cru devoir faire, encore une lois pour n’avoir pas pris . les ordres du merveilleux (faute d’avoir su le plus souvent comment les prendre), les voici engagés dans une voie dont le plus douloureusement du monde ils Uniront bien par sentir qu’elle n’était pas la leur, et qu’il dépendit d’un secours extérieur, aléatoire du reste par excellence, qu’ils refusassent dans ce sens d’aller plus loin. La vie, l’indésirable vie passe à ravir. Chacun y va de l’idée qu’il réussit à se l’aire de sa propre, liberté et Dieu sait si généralement: celle idée est timide. Mais l’épingle, la fameuse épingle qu’il n’arrive .quand même pas à tirer du jeu, ce n’est pas l’homme d’aujourd’hui qui consentirait à en chercher la tête parmi les étoiles, il a pris, le misérable, son sort en patience et, je crois bien, en patience éternelle. Les intercessions miraculeuses qui pourraient: se produire en sa laveur, il se l’ait un devoir de les méconnaître. Son imagination est un théâtre en ruines, un sinistre perchoir pour perroquets et corbeaux. Cet homme ne veut, plus en faire qu’à sa tête ; à chaque instant: il se vante de tirer au clair le principe de son autorité. Une prétention aussi extravagante commande peut-être tous ses déboires. Il ne s’en prive pas moins volontairement de l’assistance de ce qu’il ne connaît, pas, je veux dire de ce qu’il ne peut pas connaître, et pour s’en justifier tous les arguments lui sont bons. L’invention de ’la Pierre Philosophale par Nicolas Flamel ne rencontre presque aucune créance, pour cette simple raison que le grand alchimiste ne semble pas s’être assez enrichi. Outre, pourtant, les scrupules de caractère religieux qu’il put avoir à prendre un avantage aussi vulgaire, il y a lieu de se demander en quoi eut bien pu l’intéresser l’obtention de plus de quelques parcelles d’or, quand avant tout il s’était agi d’édifier une telle fortune spirituelle. Ce besoin d’industrialisation, qui préside à l’objection faite à Flamel, nous le retrouvons un peu partout : il est un des principaux facteurs de la défaite de l’esprit. C’est lui qui a donné naissance à cette furieuse manie de contrôle que la seule gloire du surréalisme sera d’avoir dénoncée. Naturellement, ils auraient tous voulu être derrière Flamel, lors de cette expérience concluante et qui n’eut d’ailleurs, sans doute, été concluante que pour lui. Il en est de même au sujet des médiums, qu’on a tout de suite voulu soumettre à l’observation des médecins, des savants et autres ignares. Et pour la plupart les médiums se sont laissé prendre en llagrant délit de supercherie grossière, ce qui pour moi témoigne, de leur probité et de leur goût. Il est bien entendu que la science ollicielle une fois rassurée, un rapport accablant venant renforcer beaucoup d’autres rapports, de nouveau l’Evidence terrible s’imposait. Ainsi, de nous, de ceux d’entre nous à qui l’on veut bien accorder quelque «talent », ne serait-ce que pour déplorer qu’ils en fassent si mauvais usage et que l’amour du scandale on dit aussi de la réclame - les porte à de si coupables extrémités. Alors qu’il reste de si jolis romans à écrire, et des oeuvres poétiques même, qui de notre vivant, seraient lues et qui seraient, on nous le promet, très appréciées après notre mort.

Qu’importe, au reste ! Mesdames, je suis aujourd’hui tout à votre disgrâce. Je sais que vous n’osez plus élever la voix, que vous ne daignez plus user de votre toute-puissante autorité que dans les tristes lirtiitcs « légales ». Je revois les maisons que vous habitez, au troisième étage, dans les quartiers plus ou moins retirés des villes. Votre existence et le peu qu’on vous tolère, en dépit de toute la conduite qu’on observe autour de vous, m’aident à supporter la vacance extraordinaire de cette époque et à ne pas désespérer. Qu’est-ce qu’un baromètre qui tient compte du « variable », comme si le temps pouvait être incertain ’? Le temps est certain : déjà l’homme que je serai prend à la gorge l’homme que je suis, mais l’homme que j?ai été me laisse en paix. On nomme cela mon mystère mais je ne crois pas (je ne tiens pas) et nul ne croit tout à l’ait pour soi-même à l’impénétrabilité de ce mystère. Le grand voile qui tombe sur mon enfance ne me dérobe qu’à demi les