Page:La Révolution surréaliste, n05, 1925.djvu/16

Cette page n’a pas encore été corrigée

DECADENCE

DE

LA VIE

(Suite *)

C’était un soir où, ne sachant que faire, j’allais après l’infortune dans les rues vaguement éclairées, vaguement curieuses, mais surtout insupportables, devant moi avec un spectre à mes côtés.

Mes amis ne m’avaient peut-être pas abandonné, mais par quelque effet du hasard, ils ne m’apportaient aucune saveur nouvelle à ce goût de l’existence dont j’ai l’habitude de faîre grand état. Ils n’avaient pour moi pas assez d’attentions délicates, pas assez d’intérêt ou de sympathie, vraiment, pouvais-je m’intéresser alors à leurs petites défaillances ou même à ces sursauts d’énergie qu’ils étalaient avec de multiples efforts, avec des rires effroyables, des rires sans suite et sans lendemain. Us montraient des dents pointues et des visages tirés comme des couteaux par les affres du plaisir stupide qu’ils ont l’habitude de prendre vers les heures nocturnes et pour des raisons que je ne qualifierai pas, car moi-même j’y souris trop souvent par manque de réflexion et parce que je me croyais obligé de passer le temps. Après tout je n’ai que faire des gens qui me regardent agir. Je ne veux pas avoir de témoins ni de contradicteurs, les inconséquences de ma conduite ne regardent que moi-même et les pas que je fais dans le dégoût universel n’ont pas besoin de laisser de traces. Lorsque je me retrouve dans les égouts en comptant les marches des terreurs véritables, j’aime à me frapper la poitrine et à me demander pardon pour des raisons simples et sans intelligence et pris de sourire comme les employés de banque devant un jeu de cartes.

Ici se trouve une lettre :

« A demain, ma chère amie, à demain ou même à bientôt. Tout ce que nous disions il y a quelques semaines quand nous nous regardions en nous prenant pour des génies à cause de quelques notions banales du temps et de l’espace qui nous faisaient mal. Mais pour moi était-ce donc un caprice enfantin cette petite seconde où j’hésitais à vous baiser la main. Non plutôt vous devriez mieux me considérer parce que tout de même, tout de même... Tout ce que nous disions était-il donc faux ? « Vous avez bien des torts, ma pauvre amie, bien des torts envers moi. Evidemment je ne vaux pas mieux après tout que les tristes sires qui vous font la cour (!) Mais si, pendant une seule minute, vous aviez la bonté de regarder mes yeux rougis par ia fièvre effroyable et la tristesse qui me consument et si vous aviez alors la bonté de me sourire, rien ne s’opposerait plus à ce que je devienne un charmant garçon. ceAuquel cas rien ne s’opposerait non plus à ce qu’un caporal gendarme vous apporte mes vingt ans sur un plat d’argent, pendant qu’un phonographe jouerait des airs charmants ! « Trop de gens sont capables de me considérer à la légère pour me comprendre. » Je suis dans une forêt sans étoiles, dans une cuve sans vin et je bois la sueur de mon front pour étancher la soif.

Je cultive dans un pot de fleurs des brebis égarées.

Je trinque avec des nuages, avec des cloches d’échos et de fiel, avec vos yeux et même avec mon coeur !

Et je rougis des réponses des hommes lorsque je dis les seules paroles idéales dont je suis capable.

Le monde croit encore à la surface de ses étangs glauques, aux carillons de ses sornettes,, à ses petites promenades dans l’intelligence, à ses musées d’animaux railleurs, à ses complaintes hystériques. Pauvres, pauvres bougres ! Et vous qui vous dites mes amis, nous tous, génies merveilleux que je contemple en silence, vous qui me montrez des chemins merveilleux et des roches de chèvrefeuille, savez-vous donc la grande fatigue dont vous me voyiez accablé, savez-vous donc pourquoi je pleure lorsque vous vous butez aux cailloux rigides d’une époque impossible et parce que souvent je ne peux pas vous suivre, vous vous détournez de mes yeux ? Je n’ai pas cette force miraculeuse qui vous fait résister aux vents des marées purulentes, je ne peux vous suivre qu’en me traînant sur les genoux et à tout hasard je regarde si quelque source folle n’est pas sur ce chemin pour y baigner mes mains sanguinolentes.

Sans autre forme, je ne tiens pas à passer pour un imbécile. C’est trop simple. Voilà maintenant des paroles célèbres, me direz-vous ? Pauvres, pauvres êtres ! Les journalistes qui liront cela, s’amuseront beaucoup de ma jeunesse et même de cette candeur. Tant mieux donc, mes amis, je n’ai pas encore perdu ces alvéoles fraîches qui me vont si bien au teint !

  • Voirlen° 3dela R. S.