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RÊVES

Ils sont tous au lit et je les observe ; ils commencent à s’endormir sous l’effet du charme. Le maître s’est couché sans juger utile de constater si j’avais avalé ma drogue ; cette marque de confiance me remplit de jcie. De fait, je rie l’ai pas avalée ; une secrète lâcheté me retient. J’ai jeté sur mes jambes mon manteau dont la poche droite contient toujours les singulières pilules. J’ai peur de la mort. Et pourtant, atteindre le sublime comme l’a promis le maître ! Je songe à fuir, à me glisser hors de mon lit et à gagner la porte en rampant. Mes yeux se portent sur mon camarade le geôlier; ses yeux sont grands ouverts et nie glacent d’effroi ; si l’on me découvrit tentant de fuir, le châtiment serait justement terrible. Est-ce la noblesseou la bassessede mon coeur qui m’attache à mon lit ? Je ne sais. Ma pensée se concentre sur le contenu de la poche droite de mon pardessus ; à mesure que la nuit s’avance, avec une peur décroissante et une joie grandissante, mon être sent se développer en lui une appétence de plus en plus invincible pour le contenu de la poche droite de mon pardessus ; je sens que ie vais avaler les singulières pilules ; vers le petit matin mon désir est à son comble et je suis prêt à m’unir au mystère. Mais ce désir était-il bien sincère ? ou n’ai-jc simulé cette élévation de mon esprit que parce que je savais que le médecin allait arriver et que je ne me déciderais au geste que trop tard? C’est ce que ic ne.saurai jamais. Le médecin entre. Aussitôt je me saisis des singulièrespilules et je tente de les porter à ma bouche ; on m’en empêche. L’espace d’une seconde, je mesure toute ma vilenie et, puisque je ne suis pas capable de faire çà en rêve, que serait-ce dans la vie. Alors j’éclate en sanglots, j’injurie le malencontreux médecin, je m’écrie : « Docteur, docteur, voici ce qu’ils ont avalé ; sauvez-les, je vous en supplie !

» Mais le médecin, une espèce d’escogriffe, 

à la vue des singulièrespilules,est pris de panique et ordonne à son aide de détruire cela car cela peut être dangereux. Cependant, un à un, les dormeurs se réveillent, le visage illuminé d’une joie intérieure. Ma tendre soeur m’enlace de ses bras et m’entraîne dans le large couloir par où longtempsavant on nous a amenés. Nous suivons longtemps ce couloir. Nous descendons des marches. Nous rencontrons Jacques Baron qui fait une grande exposition de peinture dans une église. Je n’aime pas beaucoup ses Christs ni «*Î anges.

Un peu plus tard (je suis dans la maison que j’habitai à Sceaux avec mes parents), quoique le dîner soit servi, mon père désire par hygiène prendre le train pour Paris aller-ct-retour avant de se mettre à table. A.ussibien Desnos n’est pas encore rentré et nous le retrouverons à la gare du Luxembourg. Le train est à 35. Nous avons juste cinq minutes ; hâtons-nous, d’autant plus que mon père ne marche qu’à petits pas. Mon frère André nous accompagne; Jean nous rattrappera, c’est pourquoi je laissela porte du jardin entr’ouverte. A peine avons-nous fait quelques pas que nous apercevons marchant vers nous Robert Desnos,vêtu d’une tenue militaire : molletières et pantalon kaki, courte veste chatoyante, chemise blanche largement: ouverte sur le cou, chéchia. Il arbore un sourire épanoui et joue au foot-ball avec un gros caillou. Il a pris un train plus tôt qu’il ne pensait. Qu’à, cela ne tienne, nous irons quand même à Paris ; c’est excellent avant les repas. Desnos continue, cheminfaisant, à jouer au hockey ; je me mets de la partie avec, quelques autres ; ce qui m’étonne et me vexe, c’est que Molière est plus adroit à ce jeu que Braque et que moi-même.Nous croisons Roland Tuai qui, lui aussi, garde quelques vestiges de ses’ vêtementsmilitaires,commeune teinte, des éperons. Il parle à plusieurs femmesen blanc et ne daigne pas nous apercevoir. Cependant, dans le groupe nombreux clésmarcheurs une conversation a pris corps. Ma mère (comme elle est. jeune !) m’interpelle ; elle nie demande si, dans les moments qui précèdent le réveil, mes rêves ne prennent pas un caractère tout à fait particulier. « En effet, dis-je ; par exemple, j’en ai fait un tout à l’heure qui est très curieux à ce point: de vue. Seulement il est assez long et il faudrait que je vous le raconte entièrement si cela ne vous ennuie pas trop. » lit je commence à raconter le rêve précédent. Une jeune femme,que j’aime beaucoup (qui est-ce ?) m’interrompt: et j’ai la stupéfaction de l’entendre continuer à ma place le récit de mon propre rêve. Elle,rit de mon naïf étonnemenf, car, à l’en croire, il est bien facile d’en faire autant. Elle continue donc le récit:avec exactitude sauf quelques erreurs ; par exemple, le prestidigitateur grotesque qui apparaît: à la cantonnade au début de mon rêve est dans sa version un facteur et joue un rôle actif. Cependant nous arrivons à la.gare. Le train me paraît: bien tragique. Où l’ai-je donc déjà vu ? La foudre tombe sur la grange où je me suis réfugié. Un mouvement involontaire pour regarder le globe de icu l’attire sur moi. Le temps de compter jusqu’à trois et je suis mort. Au prochain numéro :

Glossaire : j’y serre mes gloses : M’cbci Lcins.

Le surréalisme et lapeinture: André Breton. Ces animaux de la famille : Benjamin Péret.