fasse, quelque refus que j’oppose à mainte invitation grossière, — d’un de mes amis le plaisir public attend exclusivement des contes, d’un autre des poèmes en alexandrins, d’un autre des tableaux où il y ait encore des oiseaux qui s’envolent — et quelque certitude intérieure qu’il me reste de déjouer finalement les calculs en apparence les plus flatteurs qu’on aura faits sur moi, je suis, moi aussi, l’objet d’une tolérance spéciale, dont je connais assez bien les limites et contre laquelle, pourtant, je n’ai pas fini de m’élever.
On sait, on pourrait savoir à quels mobiles cédèrent, il y a six mois, les fondateurs de cette revue. Il s’agissait avant tout, pour eux, de remédier à l’insignifiance profonde à laquelle peut atteindre le langage sous l’impulsion d’un Anatole France ou d’un André Gide. Et qu’importe si c’est par le chemin des mots que nous avons cru pouvoir revenir à l’innocence première ! Si péché il y eut, c’est quand l’esprit saisit ou crut saisir la pomme de la « clarté ». Au-dessus de la pomme tremblait une feuille plus claire, de pur ombrage. Quelle était donc cette feuille ? C’est ce sur quoi tous les chefs-d’oeuvre littéraires se taisent. C’est ce que nous, surréalistes, nous pourrions dire sans nous gêner. En ce qui me concerne, j’éprouve, devant une certaine manière conventionnelle de s’exprimer, où l’on ménage exagérément l’interlocuteur ou le lecteur, le sentiment d’une telle dégradation d’énergie que je ne puis manquer de tenir celui qui parle pour un lâche. Ce serait déjà trop de toujours se comprendre : s’égaler toujours ! Le désir de comprendre, que je n’ai pas l’intention de nier, a ceci de commun avec les autres désirs que pour durer il demande à être incomplètement satisfait. Or ce désir est traîtreusement combattu par ceux mêmes qui assument la charge de l’entretenir. Ils y pourvoient du moins à si peu de frais que l’intelligence se forme aux solutions criardes. En dehors du surréalisme j’ai toujours trop bien compris les ouvrages des hommes, pour si peu les ouvrages de Dieu.
…Plutôt que de m’en faire comprendre, n’est-il rien que je puisse leur apprendre, oui leur faire apprendre par cœur ? La belle expression ! C’est qu’ici réapparaît l’orgueil mais le juste orgueil, celui qui ne peut triompher que de l’innocence. Il se fait jour à travers ces lignes d’Antonin Artaud, de Robert Desnos. Il n’est pas comparable à la vanité qu’on tire d’un raisonnement impeccable ou de quelque autre bon tour joué.
Mais, derrière l’amoralité du style, de ce style qui continuera longtemps à avoir cours, nous dénoncions l’amoralité de l’homme et nous entendions faire justice de la suffisance incroyable qui s’étale dans la plupart de ses livres et de ses discours. Le mystère est à sa porte, angoissant au possible, cependant qu’il vaque à des affaires dérisoires, qu’il sacrifie à l’immédiat son intérêt lointain. C’est le parfait mannequin de Giorgio de Chirico, descendant l’escalier de la Bourse. Partout nous nous trouvons aux prises avec lui. Nous nous en prendrons éternellement à son égoïsme amer.
Restent à définir les conditions de la lutte, puisque tant est que la jeunesse et le risque de désœuvrement absolu que nous courions nous l’ont fait engager. Nous sommes quelques-uns à pouvoir mesurer déjà le terrain conquis, le terrain perdu. Qu’on le veuille ou non, notre volonté a été sentie. Peu importent les réserves de détail auxquelles je veux bien que parmi nous prête toute personnalité. Il n’en est pas moins vrai que d’un commun accord nous avons résolu une fois pour toutes d’en finir avec l’ancien régime de l’esprit. C’est là, comme on a bien voulu, d’ailleurs, le constater, une entreprise si hardie, qui nécessite si éperduement la confiance de tous ceux qui s’y donnent que, pour que jamais elle puisse être menée à bien, il nous