Page:La Révolution surréaliste, n04, 1925.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

= FRAGMENTS DUNE CONFÉRENCE = 25

à moi qui pourrait bien certains jours envoyer promener l’univers, pour un regard qui ne me quitte point, si vous me demandez ce qui marque cette année par laquelle le siècle coud l’un à l’autre ces deux premiers quarts, cette année qu’on a cru célébrer à Paris par une exposition des arts décoratifs qui est une vaste rigolade,

 COMPTE RENDU DE L’EXPOSITION
DES ARTS DÉCORATIFS Man Ray

je vous dirai que c’est au sein même du surréalisme, et sous son aspect, l’avènement d’un nouvel esprit de révolte, un esprit décidé à s’attaquer à tout. C’est dans l’amour, c’est dans la poésie) que la révolte éternellement prend naissance. Celui qui baigne déjà dans l’infini est prêt, hommes, à renverser vos châteaux de cartes. Et naturellement que s’il y a dans un coin du monde quarante hommes prêts à tout, à sacrifier leur vie pour le bouleversement du monde, et c’est peu que leur vie, et c’est peu que le monde, vous allez rire et trouver dérisoire que des gens qui ne disposent d’aucun pouvoir, qui ne sont rien, sans argent, sans hypocrisie, parlent tout d’un coup de révolution, et prennent au premier pas le ton, et tout l’appareil mental de la Grande Terreur. C’est pourtant ce fait sans précédent dans l’histoire humaine qui vient d’unir ceux qui ne se croyaient que ce seul lien, la poésie, et un certain goût de l’insensé. J’ai vu, et c’est tout ce que j’ai à vous dire, ceux-là que l’attention croissante qui les entourait pouvait capter, et suffisamment divertir, je les ai vus s’arrêter dans leur course, se consulter du regard, et sans égard pour leurs amitiés, leurs affections, instruire le procès de chacun d’entre eux avec une âpre soif de découvrir la plaie cachée en chacun. Ils se sont jetés les uns sur les autres, ils ont confronté les bassesses de leurs âmes, leurs grandeurs. Et maintenant ils se savent purs, quelque chose les joint que rien ne peut rompre. Ils se connaissent,et qu’importe, rieurs, vos narquoises chansons ? Je vous annonce l’avènement d’un dictateur : Antonin Artaud est celui qui s’est jeté à la mer. Il assume aujourd’hui la tâche immense d’entraîner quarante hommes qui veulent l’être vers un abîme inconnu, où s’embrase un grand flambeau, qui ne respectera rien, ni vos écoles, ni vos vies, ni vos plus secrètes pensées. Avec lui, nous nous adressons au monde, et chacun sera touché, chacun saura ce qu’il a méprisé de divin, ce qu’il a laissé perdre sous sa forme dans une flaque du soleil, chacun saura son ignominie, cl d’abord les grandes puissances intellectuelles, universités, religions, gouvernements, qui se partagent celle terre, et: qui dès 1enfance détournent l’homme de soi-même suivant un dessein ténébreusement préétabli. A rien ne sert de nous opposer votre scepticisme. Croyez-vous,oui ou non, à la force infinie de la pensée ? Nous aurons raison de tout. Et d’abord nous ruinerons cette civilisation qui vous est chère, où vous êtes moulés comme des fossiles dans le schiste. Monde occidental, tu es condamné à mort. Nous sommes les défaitistes de l'Europe, prenez garde, ou plutôt non : riez encore. Nous pactiserons avec tous vos ennemis, nous avons déjà signé avec ce démon le Rêve, le parchemin scellé de notre sang et de celui des pavots. Nous nous liguerons avec les grands réservoirs d’irréel, Que l’Orient, votre terreur, enfin, à notre voix réponde. Nous réveillerons partout les germes de la confusion et du malaise. Nous sommes les agitateurs de l’esprit. Toutes les barricades sont bonnes, toutes les entraves à vos bonheurs maudits. Juifs, sortez des ghettos. Qu’on affame le peuple, afin qu’il connaisse enfin le goût du pain de colère ! Bouge, Inde aux mille bras, grand Brahma légendaire. A toi, Egypte. Et que les traficants [sic] de drogues se jettent, sur nos pays terrifiés. Que l’Amérique au loin croule de ses buildings blancs au milieu des prohibitions absurdes. Soulève-toi, monde. Voyez comme cette terre est sèche, et bonne pour tous les incendies On dirait de la paille.
Riez bien. Nous sommes ceux-là qui donneront toujours la main à l’ennemi.

Louis ARAGON