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CHRONIQUES
Fragments d’une Conférence *
Qui sont ces gens ? Qu’ai-je à faire avec eux ? Etrangers je sors du train noir. Il n’y a rien de commun entre vous et moi. Voici que vous êtes devant moi comme l’alcool au fond d’un verre, et je bois le lac de vos regards. Quels chemins, quel signes d’encre, quelles conjonctions d’astres, quels dessins purs dans le ciel transparent, non rien, toute explication serait dérisoire. Ce qui m'accable est d’abord qu’ici je cesse de croire à la toute-puissance de la parole. J’échoue à cette falaise, votre oreille. Vous n’avez pas été pétris avec mes mots, mon langage à peine y avez-vous donné une attention aimable. Mes mots, Messieurs, sont ma réalité. Chaque objet, la lumière, et vous mêmes, vos corps, seul le nom que je donne à ce glissant aspect de l’idée l’éveille en moi à cette vie véritable, que les mêmes sons ne suscitent point en vous. Je perds auprès de vous le vrai de ce pouvoir, qui fait en même temps qu’on m’appelle auprès de vous, je perds l’effectif de ma parole, moi qui ai, paraît-il, comme nul autre ce don de la magie, et le goût d’en user. Séduire! à ce jeu s’est brûlé tout un peu de ma vie. Ce n’était pas un jeu, au reste, c’était ma vie. J’ai connu les voies sonores qui donnent accès dans l’esprit, et s’ouvrent sur le cœur. O fenêtres, il fallait: que ma main poussât vos persiennes, et vous me livriez le passage humain. Les femmes de mon pays, de mon pays, remarquez bien, que je déteste, où tout ce qui est français comme moi me révolte à proportion que c’est français, les femmes de mon pays m’ont habitué à croire aux mots que je prononce, et qui inaugurent en elles un miracle où tout mon être prendra part ; et pour mon esprit, sur la route intellectuelle où j aime à exercer sa tyrannie, l’esprit d’un autre est toujours un peu femme pour mon esprit. Mais vous, hommes d’ailleurs, comment entendriez - vous ce que je vais vous dire ? Tout ce qui pour moi vaut de vivre ou de mourir, qu’est ce pour vous vraiment ? Peut être un paradoxe. Croyez-moi pourtant, l’homme ne s’exprime point par paradoxes. Il vient des confins d’un cyclone, et ce qu’il a traversé jusqu’à vous, ces montagnes de l’esprit auraient retenu de leurs doigts gigantesques les légères chevelures de nuages, desquelles les bateleurs prennent soin d’orner leurs fronts. Mais vous ne m’entendrez pas, car que sais-je de vous? de ce qui fut pour vous la douceur du monde, de ce qui vous a retenu, de cette école buissonnière (les années où vous avez égaré à la fois vos pas et votre cœur ? Dans les rues ce charme qui vous arrête soudain, ces manières d’une jeune fille, la rondeur d’une taille ou la courbe d’un sein, pour moi qu’y vois-je qui ne soit l’exotisme et sans doute que c’est cette couleur d’opérette, si le hasard vous la sert dans mes phrases, qui

LA RÉVOLUTION LA NUIT Max Ernst

  • Faite à Madrid,à la Residencia des Estudiantes

(le 18 avril 1925).