LA
BAIE
DE
LA
FAIM
Navire en bois d’ébène parti pour le Pôle nord, voici que la mort se présente sous la forme d’une baie circulaire et glaciale, sans pingouins, sans phoques, sans ours. Je sais quelle est l’agonie d’un navire pris dans la banquise, je connais le râle froid et la mort pharaonique des explorateurs arctiques et antarctiques, avec les anges rouges et verts et le scorbut et la peau brûléepar le froid. D’une capitale d’Europe, un journal emporté par un vent du sud monte rapidement vers le pôle en grandissant:et ses deux feuilles sont les deux grandes ailes funèbres.
ON EST SANS NOUVELLES DE LA MIS-SION ALBERT...
ON PART A LA RECHERCHE DE LA
MISSION...
DES PÊCHI-.URS DE BALEINES ONT
DÉCOUVERT...
Et je n’oublie pas les télégrammes de condoléances, ni la stupide anecdote du drapeau national fiché dans la glace, ni le retour des corps suides prolonges d’artillerie.
Stupide évocation de la vie libre des déserts : Qu’ilssoient de glaceou de porphyre-,sur le navire ou dans le wagon, perdus dans la loulc-ou dans l’espace, cette sentimentale image (lu désordre universel ne me touche pas.
Ses lèvres font monter les larmes à mes yeux. File est là. Sa parole frappe mes tempes (le ses marteaux redoutables. Ses cuisses que j’imagine ont des appels spontanés vers la marche. Je t’aime et: tu feins de m’ignorer. Je veux croire que lu feins de m’ignorer ou plutôt non, ta mimique est pleine d’allusions. La phrase la plus banale a des sous-entendus .émouvants quand c’est toi qui m’adresse la parole. Tu m’as dit que tu étais triste. L’aurais-tu dit à un indifférent? Tu m’as dit lemot «amour ». Comment n’aurais-tu pa.s remarqué mon émoi ? Comment n’aurais-tu pas voulu le provoquer ? Ou si tu m’ignores, c’est qu’il est mal imprimé, ce calendrier, toi, dont la. présence ne m’est pas même nécessaire. Tes photographies sur mes murs et dans mon coeur les souvenirs aigus que j’ai gardé cle mes rencontres avec toi ne jouent qu’un bien piètre rôle dans mon amour. Tu es, toi, grande en mon rêve, présente toujours, seule en scène et pourtant tu n’es pourvue d’aucun rôle. Tu passes rarement sur mon chemin. Je suis à l’âge où l’on commence à regarder ses doigts maigris et où la jeunesse est si pleine, si réelle qu’elle ne va pas tarder à se flétrir. Tes lèvres font monter des larmes à mes yeux ; tu couches toute nue dans mon cerveau et je n’ose plus dormir.
Et puis j’en ai assez, vois-tu, de parler de toi à haute voix.
Le corsaire Sanglot poursuit sa route loin de nos secrets dans la cité dépeuplée. Il arrive, car tout arrive, devant un bâtiment neuf, l’Asile d’aliénés. Pénétrer ne fut pour lui qu’une formalité. Le conciergele conduisit à un secrétaire. Son nom, son âge et ses désirs inscrits, il prit possessiond’une coquette cellule peinte en rouge vif.
Dès qu’il eut passé la dernière porte de l’asile, les personnages multiples du génievinrent à lui : « Entrez, entrez, mon fils, dans ce lieu réservé aux âmes mortifiées, et que le tendre spectacle de la retraite prépare votre orgueil à la gloire prochaine que lui réserve le Seigneur dans son paradis de satin et de sucre. Loin des vains bruits du monde, admirez avec patience les spectacles contradictoires que la divinité absolue impose à vos méditations et, plutôt que vous absorber à définir la plastique de Dieu, laissez-vouspénétrer par son atmosphère victorieuse clés miasmes légers mais nombreux clela.société ; que la saveur même du Seigneur émeuve votre bouche destinée au jeûne, à la prophétie et à. la communion avec le dispensateur de tout, que vos yeux éblouis perdent jusqu’au souvenir des objets matériels pour contempler les rayons flamboyants cle sa foi, que votre main sente le frôlement distinct des ailes archangéliques, que votre oreille écoule les voix mystérieuses et révélatrices. Et si ces conseils vous semblent:entachés d’une satanique sensualité, rappelez-vous qu’il est faux que les sens appartiennent à la matière. Ils appartiennent à l’esprit, ils ne servent, que lui cl: c’est par eux que vous pouvez espérer l’extase finale. Pénètre en toi-même et reconnais l’excellence des ordres de la sensualité. Jamais ils ne tentèrent autre choseque fixerl’immatériel; en dépit despeintres, des sculpteurs, des musiciens, des parfumeurs, des cuisiniers, ils ne visent qu’à l’abstrait le plus absolu. C’est que chacun de ces artistes ne s’adresse qu’à un sens alors qu’il convient, pour avoir accès aux suprêmes félicités, cleles cultiver tous. Le Matérialiste est celui qui prétend les abolir, ces sens admirables. Il se prive ainsi du secours efficacecle l’idée car il n’est pas d’idées abstraites. L’idée est concrète, chacune d’elles, une fois émise, correspond à une création à un point quelconque de l’absolu. Privé de sens, l’ascète immonde n’est plus qu’un squelette avec de la chair autour. Celui-là et ses pareils sont voués aux ossuaires inviolables. Cultivez donc vos sens, soit pour la félicité suprême, soit pour la suprême tourmente, toutes deux enviables puisque suprême et à votre disposition. » Ainsi parla un pseudo-Lacordaire. Et prouvez-moi, s’il vous plaît, que ce n’était