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Quant à la Russie, elle serait dans l’erreur si elle croyait qu’en contribuant à l’amélioration du sort des Arméniens en Turquie, elle risquerait d’éveiller des espérances politiques parmi ses populations arméniennes du Caucase. Cette erreur, elle l’a déjà commise : c’est ainsi, et la chose a pu paraître surprenante, qu’après avoir été la première à prendre en mains la cause des Arméniens par le traité de San Stéfano, elle ait assisté impassible aux massacres de 1895. Visiblement, les agissements des partis révolutionnaires arméniens l’avaient indisposée. Le Gouvernement russe redoutait qu’ils n’allumassent chez elle le même incendie ; c’est qu’il avait quelque peu méconnu le caractère de leurs tendances. Il est vrai qu’en Russie, les partis arméniens avaient défendu quelques idées avancées. Mais leurs vœux n’avaient jamais dépassé ceux de la jeunesse russe. En temps qu’Arméniens, ils n’ont jamais manqué de loyalisme à l’égard de la Russie. On n’a jamais pu les accuser de nourrir des idées séparatistes. Leurs aspirations mêmes au sujet de l’avenir de la Russie sont une preuve de leur attachement à ce pays. En outre, en Russie, de même qu’en Turquie, les Arméniens sont entourés de populations musulmanes assez nombreuses. Les Arméniens peuvent leur servir de contrepoids : il serait imprudent de laisser disparaître un élément d’équilibre aussi précieux.

Depuis trois ans, le Gouvernement russe semble revenu à une plus juste appréciation des choses. Il a pu se convaincre qu’en travaillant à améliorer le sort des Arméniens de Turquie, il se créerait de nouveaux titres à leur reconnaissance. C’est lui, qui cette fois, encore, a fait, le premier, des démarches auprès de la Porte pour l’avertir que de nouveaux massacres arméniens ne seraient plus tolérés ; les Arméniens de Turquie ne peuvent que savoir gré à la Russie de leur faire oublier la cruelle formule du prince Lobanow : une Arménie sans Arméniens.

Il n’est pas douteux que la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne désirent sincèrement des réformes dans l’Arménie turque. Mais l’Allemagne et la Grande-Bretagne redoutent que leur application ne serve à rendre plus prépondérante l’influence russe dans cette région. Ces deux Puissances hésitent à user de leur influence sur la Porte pour faire nommer un vali européen ; mais de là à supposer qu’elles soutiendraient la Porte dans son refus d’accepter un vali européen, ce serait faire injure à ces Puissances. En tout cas, elles n’auraient pas à se féliciter de cette attitude de la Turquie. Avant qu’il ne se passe longtemps, on se trouvera devant de nouveaux troubles. La répression sera ce qu’elle sera, sans pitié peut-être de la part des Turcs. Quelle qu’elle soit, on aura fourni à la Russie le motif d’une intervention armée et d’une annexion définitive. La Grande-Bretagne et l’Allemagne, en voulant empêcher la prépondérance de l’influence russe, n’auront servi qu’à faire passer