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CHAPITRE V

l’europe et les arméniens.

La question arménienne ne se pose pas devant l’Europe comme une simple question humanitaire. Elle constitue la suite naturelle, en Anatolie, de cette question de la Perse, où la Russie, la Grande-Bretagne et l’Allemagne se guettent et s’épient anxieusement.

Le massif montagneux qui s’appelle l’Arménie turque commande, au sud, toute la région qui s’étend vers le golfe Persique, à l’ouest, celle qui mène à la Méditerranée ; d’un côté c’est Bagdad et Bassora, de l’autre Mersine et Alexandrette, les deux points terminus d’une route mondiale d’une importance sans égale, à travers une contrée unique par sa fertilité à juste titre légendaire.

Quel que soit le sort que réserve l’avenir à cette contrée, la population arménienne apparaît comme devant y jouer un rôle important, parce qu’elle est le seul élément d’ordre et de civilisation sur lequel on puisse compter. En dépit de la Turquie qui avait entrepris son extermination et de l’Europe qui l’avait abandonnée, la voici plus vivante que jamais, bien résolue à défendre son existence. Elle a versé trop de sang pour n’avoir pas le droit de demander que les spéculations politiques n’aillent pas jusqu’à l’abandonner plus longtemps à un régime de persécutions et de massacres.

Personne n’y gagnerait, d’ailleurs. La Turquie, tout d’abord, y trouverait sa fin. Voudrait-elle enfin ouvrir les yeux à la vérité ? On n’oserait l’espérer. Les Arméniens ont été toujours ses loyaux sujets. Toutes les fois que le Gouvernement s’est montré bienveillant à leur égard, si peu qu’il l’ait fait, ils ont répondu par le plus entier dévouement, ils ont fait plus que leur devoir. L’exemple qu’ils ont donné en Perse est à méditer. Une poignée d’Arméniens ont fait à ce pays un rempart de leur corps. En Turquie, pendant la dernière guerre, ils ont été au feu sans hésiter ; et pourtant ils avaient subi les massacres d’Adana et leurs coreligionnaires continuaient à être l’objet de mille persécutions. Alors qu’ils combattaient aux premiers rangs de l’armée, les Kurdes enlevaient leurs femmes et leurs filles pour les convertir à l’islamisme et cela avec le concours du Gouvernement. Il faut que les Turcs comprennent que ces abominations doivent cesser et qu’il est de leur intérêt de rendre aux Arméniens la vie possible dans l’Empire ottoman. En 1878, la Turquie fut mieux inspirée quand elle songea, un instant, à faire de ce petit peuple le gardien de sa frontière de l’est.