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ses qualités militaires, mais aussi sa déchéance économique. Les terres et les richesses acquises comme butin de guerre l’ont tenu éloigné de toute activité productrice. Lorsque l’ère des conquêtes a été close, il s’est fait fonctionnaire. L’éloignement dans lequel est tenu l’élément chrétien des fonctions publiques tient aussi, en partie, à leur accaparement par les musulmans. Certes, il a été aussi un peu cultivateur et artisan, mais avec négligence et dédain. Son effort est resté bien inférieur à celui du chrétien obligé de vivre de son travail et ne comptant que sur lui-même. Le chrétien a fini par devenir, par un âpre labeur, le seul élément producteur dans ce vaste Empire, tandis que le Turc arrivait à connaître la misère. Il la supporte avec cette résignation qui est au fond de tout musulman. La lutte pour le bien-être matériel se trouve endormie dans cette âme. Ce grand ressort de la civilisation lui est inconnu.

Quel est le remède à ce mal ? Il faut habituer le Turc à ne compter que sur lui-même et à gagner sa vie par le travail. On ne peut acquérir cette aptitude qu’avec le temps et au prix de quelques épreuves. C’est ainsi que le Turc pourra lutter avec son concitoyen chrétien d’abord, et plus tard avec les races européennes. Le salut est là. Le Gouvernement n’y songe même pas. Pour maintenir l’hégémonie du Turc, il n’a imaginé rien de mieux que de lui octroyer des faveurs, lui attribuer les places, les emplois et de faire fonctionner la machine gouvernementale — tribunaux et administration — à son profit exclusif. La formule « sans distinction de races ni de religions », qui revient sans cesse sous la plume des rédacteurs des Hatti-Humayoun, est un vain effort pour masquer la vérité trop connue. La plupart des chefs kurdes, possesseurs de plusieurs villages et de nombreux troupeaux, ne le sont devenus que grâce à l’impunité que leur assurait leur qualité de musulman.

Mais ni l’aide de l’administration, ni la partialité des tribunaux n’arrivaient à assurer aux musulmans la possession d’un bien-être supérieur à celui que savaient s’acquérir les chrétiens par un travail incessant. Il fallait alors recourir aux massacres en masse pour ralentir l’activité de l’élément chrétien, pour l’obliger même à quitter le pays, abandonnant ses biens aux musulmans. La question des terres dans l’Arménie turque provient de là. Les massacres en Turquie se présentent donc, non comme des catastrophes accidentelles, mais plutôt comme des phénomènes économiques ne pouvant qu’être bien vus de tout Gouvernement turc.


Causes sociales et religieuses.

La mentalité musulmane est imbue de l’idée de la domination du musulman sur le chrétien, le « raya » ; c’est l’un des principes fonda-