jouissance de trente ans. Quand une œuvre manque dans le commerce, voit-on qu’il ne se trouve pas un éditeur pour en obtenir la publication ? et quand, par impossible, un héritier serait stupide, faudrait-il dépouiller tous les autres, et faire une loi injuste pour venir à bout d’une exception ?
Au milieu de toutes ces objections, il est impossible de n’être pas frappé d’une réflexion qui se présente naturellement à l’esprit.
Toutes les fois que le législateur s’occupe de la propriété ordinaire, il part de ce principe que le propriétaire, éclairé par son intérêt, tirera le meilleur parti possible de la chose et que personne ne fera aussi bien que lui. Si la loi ne partait pas de ce principe, justifié par l’expérience, il faudrait abolir la propriété ; car la propriété serait un épouvantable abus ; la société serait compromise chaque jour par l’incurie ou l’imbécillité des propriétaires.
Quand il s’agit de la propriété littéraire, on retourne la lorgnette ; on voit toutes choses par l’autre bout. La probabilité n’est plus en faveur du bon sens, mais de la folie. Les propriétaires seront stupides, passionnés, inintelligents ; le premier venu, en revanche, aura toutes les vertus nécessaires pour exploiter le bien d’autrui. C’est abuser un peu de la simplicité du public. Autrefois on dépouillait les auteurs comme incapables de défendre leurs droits. Aujourd’hui l’incapacité a reculé d’un degré ; ce ne sont plus que les héritiers qu’il faut interdire dans leur propre intérêt. Encore un pas, et peut-être finira-t-on par s’apercevoir que les héritiers d’un écrivain sont des citoyens comme les autres, et qu’ils pourraient avoir la même intelligence et les mêmes droits que les héritiers d’un champ ou d’un magasin.