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Je me rappelle encore l’exclamation poussée en cette occasion, devant moi, par l’un des signataires de la présente circulaire : « Marx wird sehr unzufrieden sein. — Marx sera très mécontent ! » Et en effet, il fut très mécontent ; et moi, le bouc expiatoire condamné par la furieuse synagogue à pâtir pour nos péchés collectifs, j’ai été le premier à m’en ressentir. Vous rappelez-vous l’article du Juif allemand Maurice Hess dans le Réveil (en automne 1869), reproduit et développé bientôt après par les Borckheim et autres Juifs allemands du Volksstaat ? Je vous fais grâce du petit Juif russe de l’Égalité de Genève. Ce fut comme une inondation de boue contre moi, contre nous tous.

Pendant deux ans et demi nous avons supporté en silence cette agression immonde. Nos calomniateurs avaient d’abord débuté par des accusations vagues, mêlées de lâches réticences et d’insinuations venimeuses mais en même temps si stupides, qu’à défaut d’autres raisons pour me taire, le dégoût mêlé de mépris qu’elles avaient provoqué dans mon cœur aurait suffi pour expliquer et pour légitimer mon silence. Plus tard, encouragés par cette longanimité dont ils ne surent pas deviner les véritables raisons, ils poussèrent leur sale méchanceté jusqu’à me représenter comme un agent salarié panslaviste, russe, napoléonien, bismarkien, voire même papiste…

C’était vraiment trop bête pour y répondre. Mais j’ai eu, pour garder le silence, des raisons bien autrement importantes que le dégoût naturel qu’on éprouve à lutter contre la boue. Je n’ai pas voulu fournir un prétexte à ces dignes citoyens, qui évidemment en cherchaient un, pour pouvoir réduire à leur taille un grand débat de principes, en le transformant en une misérable question de personnes. Je n’ai voulu prendre sur moi aucune part de la responsabilité terrible qui doit retomber sur ceux qui n’ont pas craint d’introduire dans cette Association internationale des travailleurs, dont le prolétariat de tant de pays attend aujourd’hui son salut, avec le scandale des ambitions personnelles, les germes de la discorde et de la dissolution. Je n’ai point voulu offrir au public bourgeois le spectacle, si triste pour nous, si réjouissant pour lui, de nos dissensions intérieures.

Enfin, j’ai cru devoir m’abstenir d’attaquer, devant ce même public, une coterie, dans laquelle, j’aime à le reconnaître, il y a des hommes qui ont rendu d’incontestables services à l’Internationale.

Sans doute, ces hommes se déshonorent aujourd’hui et font un grand tort à l’Internationale en se servant de la calomnie pour combattre des adversaires qu’ils désespèrent probablement de réduire par la puissance de leurs arguments. Sans doute à leur grand zèle pour la cause du prolétariat s’ajoute, d’une façon assez déplaisante, une dose considérable de prétentions vaniteuses et de vues ambitieuses, tant personnelles que de race… Mais il n’en est pas moins vrai que ce zèle est sincère. Au moins j’en suis parfaitement convaincu, non à l’égard de tous, mais à l’égard d’un grand nombre d’entre eux ; et comme ils sont tous solidaires, j’ai dû m’abstenir d’attaquer les uns pour pouvoir épargner les autres.

D’ailleurs je m’étais toujours réservé d’appeler tous mes calomniateurs devant un jury d’honneur que le prochain congrès général ne me refusera sans doute pas. Et pour peu que ce jury m’offre toutes les garanties d’un jugement impartial et sérieux, je pourrai lui exposer avec les détails nécessaires tous les faits, tant poli-