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Alors nous mâchâmes tous nos pelures de mandarines pour sentir le parfum de notre haleine.

« Respirez-moi », nous dit-il, et nous le fîmes en riant.

Chacun buvait l’haleine de l’autre sans le baiser !

Soudain il prit mes peaux de mandarines, et les mit sur ses lèvres…

Il en résulta un peu d’embarras et Maria rougit. Lui, dit simplement : « Vois ! Ta salive est ta chair, ton esprit et ton âme. Aussi en la buvant, je t’absorbe tout entière, je t’épouse ! »

Ces mots en résonnant remirent tout en harmonie, et nous sourîmes, quoique tout occupés comme pour une sainte occupation. Mais il fallait s’allier avec la vie de tous les jours, la faire égale, supportable et sans importance. Cependant nous sentions les actions saintes, particulières.

Puis il nous dit : « Vous devez savoir ! Un immense amour est en vous deux, jeunes filles, et vous êtes pleines de poésie, d’hymnes à celui-ci ou à celui-là ! Vous restez assises sur les montagnes, frappez les harpes, chantez la louange de l’incomparable Termina, des soirs d’hiver et de l’hospitalité ! Vous touchez des harpes d’or, vous vous chantez vous-mêmes dans des extases, tandis que vous croyez rester assises, silencieuses et paresseuses !

« Chez nous, hélas, tout est dans une tiède chaleur, parce que l’ardeur du mot parlé nous enlève la chaleur la plus profonde ! Mais vous, jeunes filles, en silence vous vous consumez !  !  ! »

Il parla ainsi. Et nous ne trouvâmes point de réponse convenable.

Maria dit seulement : « Les mots sont les soupapes des colossales machines de l’âme. La pression est chez nous rarement telle qu’elles en viennent à parler. »

Nous bûmes d’excellente limonade et le poète mit sa main sur ma main.

Et je pensai cependant : « Enchanteur, ne me guide pas de ta douce main ! J’avance… et toi, vole ! Je veux te suivre des yeux jusqu’à ce que tu disparaisses… et avancer lentement ! Et aussi, je te prêterai l’oreille, ami, car tu parles, peut-être des choses qui existent, peut-être de celles qui n’existent pas, des choses qui se réaliseront dans mille ans !… »

Le poète mit sa main sur ma main. Maria était assise, toute pensive, comme les gens, par les tièdes soirs d’été, sur les bancs des jardins…

Dans les ténèbres du dehors, l’hiver faisait rage dans la campagne et tourmentait durement la plaine.

Peter Altenbereg
(Traduit par A. Basler et R. Meunier).