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exotiques. Nous devons nous résigner, Maria, puisque nous voulons vivre dans la vie qui est !

« Nous n’avons pas besoin de trop rêver, d’être trop affranchies. Mais s’ils s’approchent de nous, les légers artistes, nous pouvons être douces et leur prêter l’oreille ! Ils rêvent, mon amie, peut-être des choses qui existent, peut-être de celles qui n’existent pas, des choses qui pourront se réaliser dans mille ans !… »

Maria, délicatement, mit sa main sur mon genou et m’interrogea des yeux. Puis elle dit : « Tu le prends au sérieux ? » — « Je le prends au sérieux et je ne le prends pas ! Je dis : Moi, j’avance… toi, vole ! Je veux te suivre des yeux jusqu’à ce que tu disparaisses… et avancer lentement ! »

Maria posa sa tête sur mon sein.

Puis je dis : « Maria, si nous couronnions notre cher masque de Beethoven mort ? Donne-moi les narcisses jaunes dont le poète nous a fait cadeau ! »

Et nous faisons une petite couronne de narcisses jaunes et la mettons sur la tête du noble masque. Puis nous faisons du thé, ne parlons de rien du tout, fumons de délicates « Cupidon d’or » qui répandent un parfum d’amadou et de miel bouillant. Par la fenêtre, nous ne voyons rien de beau, plus volontiers nous regardons devant nous. Maria est assise toute pensive comme les gens, par les tièdes soirs d’été, sur les bancs des jardins. Moi, je trouve à faire, je mets un peu d’ordre, je trouve très pratique mon nouveau chapeau cowboy, j’espère qu’il gardera sa forme. Puis je lis, je tourne un peu le petit poêle à pétrole, qui est presque en extase, pour pouvoir copier les chaleurs d’août. Ainsi passe le soir, cependant que l’hiver fait rage dans la campagne et tourmente la plaine.

Je dis à mon amie : « Maria, que pensez-vous de l’ambition ? »

Elle répondit : « Je ne sais. Mais elle ne me paraît pas un moyen de locomotion… »

Et moi : « Si l’on peignait un tableau en voulant un but précis, alors rien ne viendrait. Certainement. On ne pourrait jamais avancer vers un but tout à fait précis. Dans rien du tout. Mais bien au contraire, c’est de ce qui est advenu que l’on devrait s’étonner.

« On devrait savoir s’étonner, on devrait être tout décontenancé de ce qu’il s’est passé ainsi quelque chose à notre insu. C’est toujours dans ses plus belles roulades que s’arrête soudain le vrai oiseau du Harz. Il penche la tête, et, tout étonné, s’écoute lui-même. Son propre chant le surprend ! Il écoute comme s’il entendait des sons étrangers venus du lointain. Oui ! on devrait pouvoir s’étonner sur soi-même comme sur des sons étrangers venus du lointain ! »

Nous étions assises tout près du petit poêle à pétrole, comme, devant la cheminée, les membres d’une famille anglaise ; nous ne pensions vraiment à rien et cependant nous étions pensives, mais en même temps contentes.