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LA PLUME.


La Montagne


FAROUCHE est le Dieu qui habite la montagne, farouche et morne est l’attitude que la montagne adopte à jamais dans le monde.

Schistes et granits, basaltes et marbres, fronts durs d’entêtement, rocs immuables, dressant avec orgueil leurs masses à jamais stériles, la montagne n’a qu’un froid dédain pour le va-et-vient futile et éphémère de la vie, en hâte sans cesse de nouvelles transformations. Les plaines se transmuent et se déguisent, comme de misérables histrions toujours dérobés sous de nouveaux accoutrements : la mer s’évade et se disloque en une fuite perpétuelle : pour elle, l’aridité de son giron, la sécheresse de ses flancs, sont la plus haute gloire par où s’affirme sa personne, définitive.

Une mer de nuages aux flots d’ouate qui s’argentent ou s’efftlochent par places, un troupeau d’agneaux si compact qu’on n’aper^oitque des toisons, achemin6s p^le-m^le vers les etables du soir, puis un cirque immense d*ombres bleues et violettes, assises en cercle, immobiles regarder scintiller parmi elles les 6cailles d’argent du serpent tortueux ; c’est I’horizon ou baigne son Ame. Face k face avec le ciel, la tote perdue dans les nuees, et dans toute Thorreur d une solitude sauvage, elle reste ainsi tranquille soufllet^e par les ouragans et lavee par les rafales sans qu’aucune aventure vienne jamais troubler la monotonie de son existence.

Autour d’elle ses petits sont pelotonn6s, comme des poussins prfes de la poule, mais si aride est sa maternite qu’ils n’ont jamais grandi seulement d’un pouce et qu’ils demeurent k jamais fig.s en la mediocrity de leur nature. Sa tendresse n’en prend aucun souci. Elle veille seulement k ce qu’ils demeurent immobiles autour d’elle. Ainsi font-ils. Parfois, le soir, gris6s par les vicdx ors du cr6puscule et les mauvais conseils de la nuit qui s’achemine, ils bondissent comme de jeunes chevreaux en de massives parties de saute-mouton, mais des le matin, quand pftlit Taube glac6e, ils sont la tous, bien sages, posement chacun k sa place.

La montagne, bourrue et taciturne, communique avec le ciel, et sert de passage aux habitants divins qui parfois viennent s’j^ reposer. Elle a conscience de la grandeur de sa mission et ne se d6partit jamais de sa haute gravity. Que lui importent les chants de la vie, le rire des saisons ? L’et6