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Achève donc son œuvre. Héritier de sa gloire,
De ta loyale main prends l’outil vierge encor,
Étale le mortier sous la truelle d’or,
Frappe avec le marteau d’acier, d’or et d’ivoire ;

Viens !… Puisse l’Avenir t’imposer à jamais
Le surnom glorieux de ton ancêtre Pierre,
Noble Empereur qui vas sceller la grande pierre,
Granit inébranlable où siégera la Paix !


josé maria de hérédia.


II

La Nymphe des bois de Versailles


Je dormais dans ces bois où, depuis vingt-cinq ans,
Ni le bruit des combats ni la rumeur des camps
Ne troublaient plus l’asile ombreux de mon long rêve ;
À peine un cri d’enfant, un branle de berceau,
Un froissement de feuille à l’essor d’un oiseau
Coupaient le labeur grave et muet de la sève,
Je dormais, quand soudain je sentis frémir l’air
Et près de mon côté le sol antique et cher
Tressaillir, et vers moi palpiter le bocage,
Frissonnante à mon tour j’eus un éclair d’effroi…
Mais le buisson s’ouvrit, et l’ombre du Grand Roi
M’apparut souriante et me tint ce langage :

« Nymphe immortelle, écoute et viens à mon secours.
Un couple impérial, espoir des nouveaux jours,
Veut visiter ma gloire embaumée à Versailles.
Je ne suis plus qu’un spectre, un voile éteint ma voix :
Que la tienne, sonore et suave à la fois,
En soit le vif écho dans ces nobles murailles.

» Mes hôtes sont les tiens, prends ma place auprès d’eux ;
Traduis pour leur couronne et leur race mes vœux ;
De mon règne en exemple offre-leur ce qui dure,
Apprends-leur à quel peuple ils ont tendu la main,
Et quel génie ici, plus que moi souverain,
Plus que moi conquérant, a vaincu la Nature ;

» Comment, à mon appel, tous les arts en ces lieux,
Vouant à l’idéal un temple harmonieux,
D’un rendez-vous de chasse, abri sombre et sauvage,
Ont su faire, à prodige ! un rendez-vous sacré
Pour deux peuples unis fièrement, de plein gré,
Par l’attrait mutuel d’un beau nœud sans servage.

» L’Épouse auguste est là : va lui dire en mon nom
Que les Grâces lui font leur cour à Trianon
Comme à leur jeune sœur que le bandeau fait grande.
Le fils des Romanoff m’apporte ses saluts :
Au seuil du palais vaste où je ne brille plus
Il sied que dans tes yeux mon soleil les lui rende !

» Ah ! depuis que la tombe a refroidi mes os
J’ai longtemps médité sur l’emploi des héros,
Mais n’importune pas de ma science amère
Un prince que son sang nous convie à fêter :
Pour bien faire, il n’a pas de maître à souhaiter,
J’ai déjà reconnu son modèle en son père.

» La Sagesse léguée a pris racine en lui
Et la fleur en est douce à cueillir aujourd’hui,
Nymphe, reçois-le donc, de mon lustre vêtue ;
Sois tendre à sa compagne ; au front de leur enfant
Pose, au nom de la France, un baiser triomphant
Pour que la foi jurée aux cœurs se perpétue ! »


sully prudhomme.


III

À Leurs Majestés
L’Empereur et l’Impératrice de Russie


Dans cet asile calme où le culte des lettres
Nous fut fidèlement transmis par les vieux maîtres
Ainsi que le flambeau de l’antique coureur,
À ce foyer, dans cette atmosphère sereine,
Bienvenue à la jeune et belle Souveraine !
Bienvenue au noble Empereur !

Votre chère présence est partout acclamée
Par l’imposante voix du peuple et de l’armée,
Émus de sentiments profonds et solennels ;
Et, sur la foule heureuse et de respect saisie,
Vous voyez les couleurs de France et de Russie
Palpiter en plis fraternels,

Tous les vœux des Français vont, Sire, au fils auguste
Du magnanime Tsar, d’Alexandre le Juste ;
Car, en vous, son esprit pacifique est vivant.
Vous, Madame, devant vos yeux purs et sincères,
Dans les groupes charmés vous entendez les mères
Vous bénir, vous et votre enfant.

Ici s’éteint le bruit dont un peuple s’enivre.
Nous pouvons seulement vous présenter ce livre
Qui garde ce trésor : la langue des aïeux ;
Mais, chez nous, c’est la France encor qui vous accueille,
Et vous lirez le moi « amitié » sur la feuille
Qu’elle place devant vos yeux.

Puis nous évoquerons noire gloire passée,
Nos devanciers fameux, princes de la pensée,
Corneille, Bossuet, tant d’autres noms si beaux,
Avec l’orgueil de voir nos souvenirs splendides
Honorés par vous, Sire, ainsi qu’aux Invalides
 Vous saluez nos vieux drapeaux.

Enfin, bien à regret — l’heure si tôt s’écoule —
Nous vous rendrons tous deux à l’amour de la foule,
Au grand Paris offrant son âme en ses clameurs ;
Mais pour vous suivre aussi dans cette ardente fête
Où vous êtes portés, comme a dit un poète,
 En triomphe sur tous les cœurs.


françois coppée.



IV

Compliment


Mounet-Sully



Il est un beau pays aussi vaste qu’un monde
Où l’horizon lointain semble ne pas finir,
 Un pays à l’âme féconde
Très grand dans le passé, plus grand dans l’avenir.

Blond du blond des épis, blanc du blanc de la neige
Ses fils, chefs et soldats, y marchent d’un pied sûr.
 Que le sort clément le protège
Avec ses moissons d’or sur un sol vierge et pur !

 C’est une terre hospitalière
 Qu’aime notre art et qu’il bénit,
 Où les serviteurs de Molière
 Souvent ont retrouvé leur nid,

 Quand la volonté souveraine
 Donna complaisamment accès
 Comme au cortège d’une reine
 Aux Muses de l’Esprit français,