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courrières de l’astre nocturne, et vous vous êtes dit : « — Voici l’heure de l’invocation et de l’amour, l’heure où descendront vers nous les ailes flamboyantes des anges aimés ! ». — Ô Azariel ! ô Samiasa ! que tardez-vous ? Abandonnez les mondes nouveau-nés dont vous dirigez l’essor timide ; Anah et Aholibamah vous appellent. — Les voici, ce sont eux ! — Leur vol empourpre la montagne, l’air frémit harmonieusement sur leurs traces, comme s’il passait sur les cordes sympathiques des harpes éoliennes. Le cri de l’amour accélère leur course, leurs ailes se ferment à demi, ils touchent la terre ! — Ô blanches figures d’un monde primitif, allez, ce sont ceux que vous aimez.

Je doute que jamais artiste ait prodigué à la plus aimée de ses œuvres la suavité de contours et la délicatesse de touche dont le poète a doué sa création d’Anah ; nul surtout ne l’a revêtue d’une fierté plus splendide que celle d’Aholibamah. — Byron n’aimait pas la peinture, et je le conçois. Il était difficile, en effet, qu’un art dont les ressources sont grandes assurément, mais fort incomplètes toutefois en face de la parole chantée, habillement sublime de l’idée pure, — il était difficile qu’un tel art contentât un tel esprit. Et par cela même, dans le vaste milieu qui lui était propre, quel peintre c’était que Byron ! Un peintre tel que les moyens extérieurs dont il se sert s’oublient, et qu’on peut dire, avec un sens profond, de sa poésie ce qu’il a dit du ciel oriental, si pur et si transparent, que Dieu seul y était visible ! — Anah et Aholibamah ont une beauté égale, mais diverses sont leurs âmes. Le poète ne le dit pas, mais quel est celui qui tout d’abord n’a reproduit dans sa pensée le type extérieur de chacune d’elles ? — On le devine sans trop de peine, Anah eût suivi Japhet aux tentes patriarcales de Noé, — la laine des troupeaux de Seth se fût assouplie autour de son beau corps ; — et, comme plus tard Rébecca, elle eût aimé, pieuse fille des pasteurs hospitaliers, à désaltérer l’étranger au puits du désert ; — elle eût suivi Japhet, car elle est pétrie de tendresse, si n’était l’ange Azariel, et si son cœur ne se fût abîmé tout entier dans cet autre amour qui lui venait du ciel ; — car même au sein de ce bonheur absorbant, elle s’émeut encore aux larmes de Japhet, et la pitié ne le cède en elle qu’à l’amour.

Ces combats cachés du cœur sont indiqués avec une admirable délicatesse. Aholibamah n’est point telle. Le sang du père de ses pères, du premier désespéré de la famille humaine, gonfle encore ses veines orageuses. Dieu a condamné Caïn et sa race, soit ! Mais qu’ont à faire les enfants de Seth entre Dieu et Caïn ? Point d’alliance d’eux à elle, et que la malédiction reste vraie tout entière ! — Aholibamah devinait au ciel l’ange qui la devait aimer, et on le sent, son amour domine celui de Samiasa ; non qu’elle l’aime avec un plus grand dévouement, mais en ce sens que ce même dévouement lui semble dû, qu’il doit venir à elle et non d’elle. Qu’on en juge : « Ô Azariel ! dit Anah, je t’aime ; mais si l’oubli de mon amour peut te faire plus heureux, oublie et sois heureux ! » — Aholibamah, au contraire : « — Ô Samiasa ! je t’aime, mais si tu devais cesser de m’aimer, je te repousserais avec mépris, tout séraphin que tu es ! » — Ce mélange de faiblesse adorable et d’entière abnégation, — de pitié naïve pour celui qui l’aime sans espoir, et de tendresse infinie pour l’ange moins idéal qu’elle, — environne d’un charme inexprimable