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Seul, j’ai leur toison d’or. Comme un magicien
Dans mon ombre j’enclos le monde égyptien.
Si Thèbes et Memphis ne me peuvent suffire,
Je rêve des cités d’ivoire et de porphyre,
Où mille sphinx, plus noirs que mes fiers Éthiopiens,
S’accroupiront au seuil de palais olympiens,
Je suis le Pharaon, le bâtisseur sublime,
Et le temps sur mon œuvre ébréchera sa lime !
Qui me disputerait l’empire et la splendeur ?
Tous les rois du soleil vénèrent ma grandeur.
Craignant de mon courroux l’irrésistible lave,
Sous mes pieds indomptés s’agite un monde esclave ;
Et, couché dans mes bains aux murmures joyeux,
La vie et la mort sont dans l’éclair de mes yeux.
J’ai cent faisceaux d’airain conquis dans mes batailles ;
Mes aïeux embaumés, gardant leurs hautes tailles,
Sont là, debout ! — Charge du glaive paternel,
Mon fils veille aux côtés de mon trône éternel ;
Et le vieil Anubis, le dieu cynocéphale,
Aboie en mon honneur d’une voix triomphale !
Non ! quel que soit le sort, sinistre ou fortuné,
Quel que soit l’avenir que nul n’a deviné,
Non, rien n’ébranlera les bases impassibles
D’où s’élancent aux cieux mes œuvres invincibles.
Ô mes peuples, debout ! — Je veux un monument
Inabordable et haut comme le firmament :
Sentinelle de pierre, immuable colonne,
Contre qui le désert que l’ouragan sillonne,
Comme un vaste lion, dressant ses sables roux,
Brisera plein de rage un impuissant courroux.
Ce sera mon tombeau, mon temple et ma montagne,
Des cieux escaladés immortelle compagne !
D’où mon ombre parfois, avec félicité,
Planera fièrement sur ma belle cité !
Suez le sang et l’eau, peuples impérissables,
Et portez ma pensée aux cieux infranchissables.
Moi, laissant pour gardiens démon palais sacré
Mes sphinx de granit noir et de granit pourpré,
Où le prêtre hautain qui me fuit dans les ombres
Grave le long feston des hiéroglyphes sombres ;
Attelant à mon char d’émeraude émaillé
Un grand alligator largement écaillé,