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Les pâles étrangers, les robustes bandits
Tombés de la montagne aux repaires maudits ;
Les cardinaux mondains et les moines moroses,
Les femmes, bras chargés d’enfants aux lèvres roses,
Et le pâtre au col brun, sur son buffle appuyé,
Qui marche et ne sait pas ce qu’il foule du pié ;
Et l’écume sans nom de cette terre vile,
Irrésistiblement s’abattaient sur la ville.
Or, la sœur de Gomorrhe, assise à l’occident,
Et qui tremble au-dessus de quelque lac ardent,
La cité fatidique et sa mouvante fange
Se ruait vers le temple où songea Michel-Ange.
C’était un de ces jours où, la tiare au front,
Répétant le supplice et l’éternel affront,
De Paul et d’Hildebrand l’inhabile fantôme
Mange la chair et boit le sang du Dieu fait homme.
La foule m’emporta comme la feuille au vent,
Et quand fut reposé le tourbillon vivant,
J’eus une vision, Seigneur, éblouissante !
Semblable à cette page en flamme et terrassante
Qu’autrefois votre souffle entrouvrit dans le ciel
Devant l’œil consumé du pâle Ézéchiel…
Mon esprit élargit des ailes inconnues,
Et la sublime nef recula dans les nues !

Ô Saint Pierre ! poème où le monde a chanté !
Ô rêve de granit, dans les cieux emporté !
Ô temple où ma pensée un instant éblouie,
Frissonnante, oublia la terre évanouie…
Mon œil t’enveloppa de ses regards ravis ;
Je frappai de mon front ton éclatant parvis !
Tout baignés de vapeur et de flammes mystiques,
Au tonnerre de l’orgue unissant leurs cantiques,
Tes prêtres radieux, du haut des fûts hardis,
Ont versé dans mon cœur les chants du paradis !
Les anges d’or, groupés sur les arceaux splendides,
Dans cet air attiédi berçaient leurs corps candides ;
Les madones d’amour, les yeux au firmament,
Murmuraient le doux nom de leur céleste amant ;
Et, plus haut, déroulant sa peinture infinie,
Michel-Ange allumait l’enfer à son génie !