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Puis, tout se tait. D’un pli raide et silencieux
L’ombre inflexible étreint la lumière des cieux.
Qu’elle est longue la nuit ! Depuis l’heure effrayante
Où l’archange brandit sa lame flamboyante,
Et, sur le seuil céleste appuyant son pied blanc.
M’aveugla d’un revers du glaive étincelant,
Qu’elle est longue la nuit ! Ô nuit, nuit implacable,
Soulève le fardeau dont la lourdeur m’accable !
Étroite immensité, mortuaire prison,
Élargis quoique peu l’étouffant horizon…
Lamentation vaine ! Elle monte, et retombe
Dans le vide béant comme un mort dans sa tombe.
Tu m’entraînes, ô terre impassible ! Attaché
Sur ton flanc de granit, comme un Titan couché
Que ronge le désir, ce vautour ! Ô mes ailes,
Frémissez, et jetez d’ardentes étincelles !
Illuminez ma voie, et par bonds vigoureux,
Arrachez-moi du fond de ce silence affreux !
Roule dans l’ombre, ô terre ! et dans l’horreur du vide,
Roule ! Je veux au ciel tendre mon aile avide,
Et, dans un océan d’ivresse et de splendeur,
Abreuver du désir l’inénarrable ardeur !
Hélas ! les airs sont noirs ! Sous ce morne suaire,
Le globe n’est-il plus qu’un immense ossuaire ?
Pareil à l’épi mûr devant le moissonneur,
Me voici face à face avec la mort, Seigneur !


II


J’ai remué, Seigneur, les poussières du monde ;
J’ai reverdi pour vous ce que le temps émonde,
Les rameaux desséchés du tronc religieux ;
Des cultes abolis j’ai repeuplé les cieux !
Rien ne m’a répondu, ni l’esprit ni la lettre,
Et je vous ai cherché, vous qui dispensez l’être !

Un jour, le chaud soleil d’un éternel été
Rougissait les sept monts de la grande cité ;
Et les pavés brûlants et les dalles romaines
Disparaissaient, poudreux, sous des vagues humaines.