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Par les sentiers perdus rôdant et gémissant,
Des gazelles de Dieu burent le jeune sang !
Un vautour écrasa le lys blanc d’un coup d’aile,
Et le chardon brûla la rose et l’asphodèle…
Puis d’un éclat de rire insultant et fatal,
J’entendis tressaillir des lèvres de métal !

Ô sombre vision, douloureuse pensée,
Inévitable lutte où l’âme est terrassée !
Faut-il, te proclamant, sens terrible et vainqueur,
Aux étreintes du mal abandonner son cœur ?
Faut-il, ô triste voix, si ta parole est sûre,
Accepter, résignés, l’éternelle blessure,
Et courbés sous le poids de ta leçon d’enfer,
Ramper en adorant nos entraves de fer ?
Non ! quel que soit le bruit dont tressaille le monde,
Rire glacé du mal, torture, insulte immonde,
Invincible désir, sans cesse inassouvi,
Toujours insaisissable et toujours poursuivi ;
Non ! quelle que soit l’ombre où vainement médite
L’humanité perdue en sa route maudite…
Enfants de Dieu, certains de l’appui paternel,
Apôtres ignorés de son dogme éternel !
Vous qui, pour la nature inépuisable et belle,
N’avez trouvé jamais votre lyre rebelle ;
Oh ! non, dans ce tumulte où vont mourir vos voix
Comme l’oiseau qui chante en la rumeur des bois, —
Que le siècle aveuglé vous brise ou vous comprime
Ne désespérez point de la lutte sublime !
Épis sacrés ! un jour, de vos sillons bénis,
Vous vous multiplierez dans les champs rajeunis,
Et dépassant du front l’ivraie originelle,
Vous deviendrez le pain de la vie éternelle !


Leconte de Lisle.