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Pareil au sable vil qui monte de l’arène
Jusques aux pics neigeux où l’ouragan l’entraîne,
Je contemplais, l’œil morne et le cœur irrité,
L’espace où l’homme vit et meurt déshérité.
On eût dit que, brisée en sa courbe infinie,
La terre prolongeait sa surface aplanie,
Afin que, du milieu de ma vaste prison,
Mon regard embrassât le quadruple horizon,
Or, dans ma vision, trop lourde pour un homme,
Toute chose vivante et qu’une langue nomme,
Les insondables mers, les fleuves orageux,
Les monts, piliers du ciel, tordus et nuageux,
Empires et cités, bois aux vertes ramures,
Peuples tumultueux aux multiples murmures,
Tout ! hormis la montagne ou Jésus fut tenté,
Tout avait disparu du globe déserté ;
Et, sinistre océan pétrifié, sauvage,
Muet comme la mort et comme l’esclavage,
Le globe n’était plus qu’un champ morne et brûlé,
Lave aux flots refroidis, sans ivraie et sans blé.
Et je ne comptais point les heures de mon rêve ;
Elles passaient ainsi que les flots sur la grève,
Lorsque le vent marin, de moment en moment,
Sur le sable qui luit les brise incessamment,
Ou comme la feuillée, au souffle de l’automne,
Qui se détache et tombe au vallon monotone.
Le ciel, appesanti sur ce vaste tombeau,
Semblait avoir perdu son immortel flambeau ;
Et nulle étoile d’or, parure coutumière,
Ne sillonnait la nuit de sa douce lumière.
Du quadruple côté de l’horizon muet,
Rien n’avait un soupir et rien ne remuait :
Sans cesse poursuivant sa ligne infranchissable,
Le désert donnait là, calme, indéfinissable !
Mais voici que, pareil au murmure du vent,
Lorsqu’il meut les forêts comme un rideau mouvant,
Autour de ma montagne, au milieu de la plaine,
J’entendis le travail d’une puissante haleine ;
Comme si le Titan, par l’Etna comprimé,
Se tordait sous le pié du géant enflammé,
Et, poussant sa clameur du fond de ses entrailles,
Du mont cyclopéen ébranlait les murailles.