Page:La Phalange, tome 2, 1845.djvu/433

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’astre qui s’éclipsa renaître radieux,
Phidias tailler son roi des hommes et des dieux ;
Le chaste vêtement, la forme, ombre divine,
Voiler la beauté nue, au cœur qui la devine,
Et l’ivoire, amolli d’un baiser créateur,
Frémir comme une chair sous la main du sculpteur !
Ah ! grâce à celui-là, jamais la foule épaisse
Ne vendra par morceaux l’autel qu’elle dépèce,
Ou bien n’insultera, dans un siècle fatal,
La sainteté de l’art de son amour brutal !
De l’art, ce dieu jaloux, qui ne veut dans ses fêtes
Que l’encens de Lévi, que le chant des prophètes,
Et qui, sur son autel, du prêtre abandonné,
Souffre et paraît mourir d’un culte profané !

Durant nos jours de lutte et d’études tronquées,
Autant de bras à l’œuvre, autant d’œuvres manquées !
Et ce n’est point assez qu’en un triste abandon
Dorment ceux à qui Dieu fit le sublime don ;
La banalité mord l’esprit comme un ulcère,
Et, dans un transport faux, l’impuissance lacère
Les voiles frémissants de la blanche pudeur.
Toute chasteté sainte est en proie au vendeur !
Or, plus que toute chose immortelle et blessée
Du lourd attouchement de la foule insensée,
La vieille architecture, en nos jours malheureux,
Porte une large plaie à son flanc généreux,
Et plus d’un cœur glacé, d’une main trafiquante,
Se plaisent à salir sa couronne d’acanthe !
Car l’époque est mauvaise aux bras laborieux
Qui ne savent bâtir qu’un travail glorieux ;
Aux divins ouvriers, confiants et candides,
Qui poussent d’un seul jet dans nos cités sordides,
Puis, gisent oubliés, muets solliciteurs,
Sur le seuil encombré des adjudicateurs.
Ô vous que l’art sacré de sa faim éperonne,
Francs artistes touchés du rayon qui couronne,
Ô pauvres vagabonds que nul ne connaît plus,
De votre âge doré les jours sont révolus :
Avec l’ocre stupide, avec la chaux immonde,
Le travail est aux mains des ineptes du monde !