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mes du maréchal, il n’en était pas qui lui fussent plus chers, soit parce que la défense de Thérouanne était l’œuvre de sa jeunesse, soit plutôt qu’il y rattachât des souvenirs intimes.

François s’inclina devant le jeune roi.

— Sire, dit-il, vous m’avez fait l’honneur de me mander pour m’entretenir de la situation générale des partis religieux. J’attends que Votre Majesté veuille bien m’expliquer ses intentions et je lui répondrai franchement.

Tout rusé qu’il fût, le Béarnais fut désarçonné par cette netteté un peu sèche. Il s’attendait à des sous-entendus, à des demi-mots, et il avait devant lui un homme qui prétendait parler sans ambages.

— Prenez ce siège, fit-il pour se donner le temps de réfléchir ; je ne souffrirai pas que le maréchal de Montmorency demeure debout quand je suis assis, moi, simple cadet encore dans le métier des armes.

— Sire, le respect…

— Je le veux, dit Henri avec un sourire.

Montmorency obéit alors.

— Monsieur le maréchal, reprit le roi après un instant de silence, pendant lequel il étudia la mâle physionomie de son interlocuteur, je ne vous parlerai pas de la confiance que j’ai en vous. Bien que nous ayons combattu dans des camps opposés, je vous ai toujours tenu en singulière estime, et la meilleure preuve, c’est que vous êtes ici, seul de tout Paris, connaissant mon arrivée à l’asile que j’ai choisi.

— Cette confiance m’honore, dit le maréchal ; mais je ferai remarquer à Votre Majesté qu’il n’est pas un seul gentilhomme capable de trahir son secret.

— Vous croyez ? fit le roi avec un sourire sceptique. Je ne suis pas de votre avis et je vous répète que vous êtes le seul que j’aie pu faire venir ici, avec la certitude de pouvoir dormir tranquille cette nuit.

Le maréchal s’inclina sans répondre.

— Le résultat de cette confiance, continua le Béarnais, c’est que je vous causerai à cœur ouvert et que, du premier mot, je vous dirai le but de mon voyage à Paris.

Coligny et Condé jetèrent un regard d’étonnement sur le roi.

Mais celui-ci ne vit pas ce regard, ou feignit de ne pas l’avoir vu.

D’une voix très calme, il prononça :

— Monsieur le maréchal, nous avons l’intention d’enlever Charles IX, roi de France. Qu’en pensez-vous ?

Coligny pâlit légèrement. Condé se mit à jouer nerveusement avec les aiguillettes de son pourpoint. L’entretien se trouvait du premier coup porté à une hauteur où le danger du vertige est permanent.

Pourtant le maréchal n’avait pas sourcillé. Sa voix demeura aussi calme que celle du Béarnais.

— Sire, dit-il, Votre Majesté m’interroge-t-elle sur la possibilité de l’aventure ou sur les suites qu’elle pourrait avoir, soit en cas de réussite, soit en cas d’échec ?

— Nous parlerons de cela tout à l’heure, monsieur le maréchal. Pour le moment, je désire savoir seulement votre opinion sur… la justice de cet acte devenu nécessaire. Voyons, qu’en dites-vous ? Serez-vous pour nous ? Serez-vous contre nous ? Garderez-vous simplement la neutralité ?

— Tout dépend, Sire, de ce que vous voulez faire du roi de France, je n’ai ni à me louer ni à me plaindre de Charles IX. Mais il est mon roi. Je lui dois aide et assistance. Tout gentilhomme est félon qui ne court pas au secours de son roi en danger. Donc, Sire, avez-vous l’intention de violenter le roi de France, et rêvez-vous quelque substitution de famille sur le trône ? Je suis contre vous ! Cherchez-vous à obtenir de justes garanties pour l’exercice libre de votre religion ? Je demeure neutre. En aucun cas, Sire, je ne vous aiderai à cet enlèvement.