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— Voici la fin. Ces deux femmes, la mère et la fille, viennent d’être enlevées… elles m’ont fait parvenir une lettre qui est adressée à un grand seigneur.

Pardaillan mit un genou à terre, fouilla dans son pourpoint, et acheva :

— Cette lettre, la voici, monseigneur !…

Montmorency ne remarqua pas l’hommage royal que lui rendait le chevalier. Il ne vit pas cette physionomie intrépide qu’auréolait à ce moment la flamme du sacrifice, et qui se levait vers lui, dans un mouvement d’indicible fierté. François ne vit que cette lettre qu’on lui tendait tout ouverte.

Il ne la prit pas tout de suite.

Convulsivement, il porta les deux mains à son front.

Quoi ! Il ne rêvait pas !… Ce jeune homme venait bien de lui retracer l’histoire de Jeanne de Piennes !… Ah ! Ce nom n’avait pas été prononcé, mais il résonnait dans son cœur avec un bruit de tonnerre !

Quoi ! Jeanne vivante ! Jeanne travaillant comme une humble ouvrière pour élever sa fille !… sa fille !… Il avait une fille ! Jeanne innocente ! C’était bien vrai, cet épouvantable drame de la mère torturée se laissant accuser pour sauver l’enfant !…

Était-ce possible ?

Et cette lettre ! Cette lettre sur laquelle il dardait un regard flamboyant !… Elle contenait donc le récit de la lamentable tragédie ! C’était Jeanne qui lui écrivait ! Jeanne innocente et fidèle !

— Lisez ! monseigneur, dit Pardaillan, lisez… et quand vous aurez lu, interrogez-moi… car si je ne fus pas témoin du crime, je suis du moins le fils de l’homme qui est dénoncé à votre haine… et cet homme… mon père !… eh bien, il m’a parlé… il m’a dit des choses que jadis je n’ai pas comprises, mais qui sont demeurées gravées dans ma mémoire… Lisez, monseigneur…

Alors le maréchal saisit la lettre.

Mais cette lettre, maintenant, tremblait, dansait dans ses mains…

— Voyons, se dit François, tout cela est un rêve, et tout à l’heure je vais m’éveiller dans la réalité qui me paraîtra plus horrible après cet instant d’espoir… Soyons homme !… Ah ! j’ai bien supporté la plus effroyable douleur… pourquoi ne supporterais-je pas une fausse joie… car tout cela est un rêve… ce jeune homme n’est qu’un fantôme… cette lettre une illusion… Non, je n’y crois pas, je n’y veux pas croire… et maintenant, essayons de lire !…

Tout de suite, il reconnut l’écriture de Jeanne.

Il résista violemment à la tentation de porter à ses lèvres ce papier qu’elle avait touché, ces caractères qu’elle avait tracés et qui la faisaient palpiter vivante et présente devant lui.

Il lut, tandis qu’un grand bourdonnement emplissait ses oreilles comme si une voix eût clamé l’innocence de Jeanne.

Il lut à grands traits, en deux ou trois reprises…