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Il en résulta que quelques jours après le départ de la cour pour les conférences de Blois, maître Gilles appela son neveu Gillot qui, depuis la mort du terrible Pardaillan, avait retiré le bonnet de coton dont il avait l’habitude de couvrir ses oreilles, et qui était redevenu joyeux et facétieux.

— Gillot, dit gravement l’intendant, nous allons ce soir nous livrer à une importante besogne… Travail déplaisant, certes, et auquel je ne songe pas sans quelque émoi. Mais enfin, il le faut ! Il s’agit de nous transformer en fossoyeurs.

Gillot fit la grimace.

— Tu comprends, mon ami, nous allons débarrasser les caves de l’hôtel de Mesmes du cadavre qui achève d’y pourrir.

La physionomie de Gillot s’éclaircit à l’instant même.

— Pardieu ! dit-il, s’il ne s’agit que d’enterrer le damné Pardaillan, je suis votre homme, et je ferai le fossoyeur avec joie !

— Allons-y donc au plus tôt. Nous prendrons l’homme ; nous le mettrons sur quelque charrette ; et nous le porterons vers le port Saint-Paul où nous le laisserons tomber à l’eau, plutôt que de nous donner le mal de creuser un trou.

Gillot applaudit à ce projet, et son oncle le vit avec surprise aiguiser un couteau.

— Pourquoi ce couteau ? demanda l’intendant de Damville.

Gillot se redressa et prit un air extrêmement féroce.

— C’est, dit-il, pour lui couper les oreilles.

— À qui ?

— Au Pardaillan, donc !

— Tu veux couper les oreilles à ce cadavre ? fit l’oncle stupéfait.

— Oui-da ? Par ainsi, le sacripant sera puni de la peur qu’il m’a faite en me jurant qu’il me les couperait, à moi.

Le vieux Gilles éclata de rire. Ce bonhomme riait quelquefois. Mais pour exciter son hilarité, il lui fallait une de ces bonnes farces extraordinaires comme celle que préparait son digne neveu.

— Je ne vois pas ce qui peut vous faire rire dans la peur que j’ai eue, dit Gillot vexé.

— Imbécile, je ris de la tête qu’aura le damné Pardaillan sans oreilles !

Et vraiment, l’idée de couper les deux oreilles du cadavre, là-bas, dans la nuit de la cave, cette idée les secoua d’un rire fantasti­que. Ils se virent penchés sur le cadavre qui les regarderait de ses yeux fixes et blancs. L’oncle, avec sa face de vieux diable, une face de gargouille, tiendrait la lanterne et soulèverait la tête du mort. Le neveu, à ge-