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misme, ou son truc, lequel consiste souvent à donner l’illusion de remuer des masses où les individus ne se distinguent que par des conventions, ou par des signes fixés une fois pour toutes. Chacun des personnages de Magnane donne l’impression qu’il pourrait être un peu ou assez différent qu’il n’est, mais qu’il est ainsi, pour le moment. L’action de ces jeunes gens est encore étrangement engagée dans une enfance à jamais perdue. Je ne ferais une exception, peut-être, que pour le meurtre du petit Anglais. Pourquoi pas, certes, mais nous connaissons mal, ou nous ne connaissons point Saint-Maury, et il semble n’être là que pour l’épisode.

ramon fernandez.

L’ARBRE DE VISAGES, par Marcel Jouhandeau. (Chaminadour, III.) (Éditions de la N. R. F.)

Le sous-titre le précise : ce volume fait partie intégrante d’une œuvre vaste conçue par un auteur qui veut exprimer sa maturité.

Et l’auteur le reconnaîtrait facilement lui-même : ce volume nouveau qui est sans doute une des pierres de l’édifice, mais n’en est certainement pas la pierre d’angle.

À mon sens, les deux chefs-d’œuvre, les deux têtes d’œuvre de M. Jouhandeau sont, en deux domaines fort différents, d’une part Monsieur Godeau intime, sorte d’autobiographie transposée dans le plan du mythe, poème épique et dramatique de l’intérieur de l’homme ; d’autre part le recueil de contes Astaroth qui me hante avec ses histoires de mariés de village hallucinés, de mannequins, d’affiches de maisons closes et ses phrases incantatoires : « Tous les oiseaux sont cruels de la mésange au vampire », ou bien encore, je cite de mémoire : « Depuis qu’il s’est aperçu qu’il a raté le monde, Dieu se fait assassiner chaque nuit au seuil de ces bouges », et le conte se poursuit dans une fantasmagorie d’automates, d’affiches et de miroirs.

Or, à propos d’un auteur à la personnalité inquiétante et multiple comme Jouhandeau, la lecture d’un nouveau livre qui ne soit pas absolument bouleversant et n’atteigne pas au sommet de l’œuvre amène la pensée à se reporter sur l’essentiel même de cet écrivain au ton à la fois accentué et trouble.

Au fond, le mystère de Jouhandeau peut se transposer en la difficulté de définir son œuvre. Une seule certitude : Jouhandeau est un grand poète au sens vaste et actuel du mot. Et pourtant je ne connais de lui qu’une courte chanson :