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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS

masse des fidèles ; humbles travailleurs allemands, émigrés italiens et irlandais, nègres convertis. Que parmi ceux-là, le cardinal Gibbons et Mgr Ireland soient populaires, on ne saurait s’en étonner, car l’éclat de leurs vertus rejaillit sur la communauté entière ; mais que les grands sentiments de ces hommes d’élite soient compris et partagés, c’est ce qu’il serait puéril de croire. La preuve qu’il n’en est rien, c’est qu’un parti puissant s’est formé auquel Allemands et Irlandais prêtent plus ou moins inconsciemment l’appui de leur étroitesse d’esprit ; les jésuites et l’archevêque de New-York dirigent ce parti qui a naturellement les sympathies du clergé canadien et qui combat très habilement les tendances libérales de l’archevêque de Baltimore et de ses disciples. Le parti allemand — on lui donne souvent ce nom à cause de la prédominance dans les rangs de l’élément germanique — n’a garde de s’attaquer ouvertement à plus fort que lui ; mais il se fortifie numériquement et attend avec confiance le résultat du prochain conclave. Il agit de préférence à Rome sur l’entourage du pape : c’est ce qui fait qu’aux États-Unis son action passe tout d’abord inaperçue. Depuis la fameuse défaite que lui infligea le cardinal Gibbons dans l’affaire des chevaliers du travail, il n’affronte plus les batailles rangées ; il n’a pas protesté publiquement lorsque le cardinal s’est rendu au parlement de Chicago et en a présidé les débats, mais on peut croire qu’il a fait parvenir au vicaire de Jésus-Christ l’expression de son horreur et de son indignation pour un pareil forfait. On lui fait de temps à autre des concessions ; la destitution récente de Mgr Keane en est une, et on ne pouvait guère en consentir de plus fâcheuse et de plus maladroite. La situation est entièrement modifiée aujourd’hui que le souverain pontife a un représentant aux États-Unis. Ce n’est pas un nonce, c’est un « ablégat ». Le gouvernement l’ignore et sans doute l’ignorera toujours ; il n’en a pas moins des attributions considérables, — d’autant plus considérables même que sa position est plus indépendante et n’a rien d’officiel. Mgr  Satolli a rempli avec beaucoup de tact sa délicate mission ; son successeur en déploiera peut-être davantage… — Peu importe ; il n’en résulte pas moins ceci : le pape pouvait favoriser l’un des partis et paraître ignorer l’autre ; son délégué, sur place, ne le pourra pas ; il devra maintenir l’équilibre, donner des gages aux uns et des gages aux autres, décider entre eux, leur servir d’arbitre ; la division des catholiques en deux camps deviendra béante si l’on peut ainsi dire,