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LA NOUVELLE REVUE

au génie de la nation ? Ce n’est pas contre les croyances des catholiques que leur ardeur se manifeste, c’est contre le pape, envisagé non plus comme le représentant d’idées perverses, mais comme étranger. Le catholicisme a son centre à Rome ; les catholiques sont tenus d’obéir à une direction venue de Rome. C’en est assez pour que beaucoup d’Américains le jugent intolérable.

Jadis les catholiques soulevaient les passions religieuses ; c’est la passion nationale qui maintenant se dresse contre eux. Le patriotisme américain devient chaque jour plus exclusif et plus jaloux : le fossé, loin de se combler, ira donc s’élargissant. Pour lutter, les catholiques, qui n’ont pas la majorité et bien évidemment ne l’atteindront jamais, ont-ils du moins l’unité ? Forment-ils une masse bien compacte, bien unie ? Et par ailleurs, ne présentent-ils pas certains caractères d’indépendance, d’autonomie qui réduisent à n’être qu’un lien purement nominal leurs attaches avec le saint-siège ? On l’a cru longtemps. Mais là encore il y a mirage. Tous les catholiques américains sont loin de partager le libéralisme de ceux de leurs pasteurs dont la renommée a passé l’Océan. Le modernisme si serein et si large du cardinal Gibbons, l’éloquence enflammée et le zèle apostolique de l’archevêque de Saint-Paul, Mgr Ireland, l’activité féconde et le jugement si droit et si sûr de l’ex-recteur de l’Université de Washington, Mgr Keane, égarent les Européens qui débarquent, tout remplis des souvenirs de leurs mesquines querelles, sur la terre d’Amérique. Il leur semble qu’ils respirent un air pur qui dilate leurs pensées et rend un libre jeu à leurs sentiments intimes. Comment n’être pas avec ces hommes au langage de feu tout pénétrés des grands sentiments égalitaires et démocratiques du christianisme primitif ? Aucun progrès ne les désoriente, nulle hardiesse ne les effraye, nul effort ne les décourage. L’avenir parait déjà leur appartenir ; ils en disposent. D’autre part, on ne peut mettre en doute leur orthodoxie. Ils sont les fils soumis du saint-siège, et Léon xiii ne perd pas une occasion de marquer sa sympathie pour leurs entreprises et son estime pour leur caractère. Mais le souverain pontife et les évêques peuvent pratiquer la tolérance à l’égard des autres cultes, sans rien abandonner de ce qui fait la force de leur foi et la puissance de leur action. On ne peut en dire autant des simples fidèles. C’est pourquoi dans l’Église catholique il est assez difficile que la tolérance soit à la fois en haut et en bas. Avant d’augurer de son avenir aux États-Unis, il faut donc connaître le sentiment de la