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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS

vela pas, si bien que vers 1860, s’il faut en croire le recensement de cette année-là, l’élément mâle, dans la population blanche des États-Unis, présentait un excédent de 730.000. L’équilibre, rétabli à la fin de la période coloniale, s’était de nouveau rompu dès que l’Ouest avait ouvert aux émigrants ses espaces indéfinis. En Californie, il y avait trois hommes pour une femme ; dans le Nevada, huit ; dans le Colorado, vingt. L’émigration n’était pas seule responsable de ce fâcheux état de choses ; la natalité semblait plus forte pour les mâles, et l’observation s’appliquait également à la race blanche et à la race rouge ; seuls les nègres échappaient à cette particularité. Exception faite pour les districts de l’Atlantique, où la population était plus dense, on peut donc dire qu’à cette époque la société américaine apparaissait sous un jour inquiétant, puisque sa stabilité se trouvait gravement compromise. Le danger est devenu bien moindre ; néanmoins, s’il est presque conjuré, il a laissé des traces qui seront lentes à s’effacer. Ce n’est pas impunément que, dans un grand pays qui entretient une très petite armée, toute une portion de la jeunesse se trouve, par la force des choses, vouée au célibat obligatoire. Il en résulte forcément des désordres graves. Ce qu’étaient Denver et les autres villes de l’Ouest, il y a quarante ans, on le devinerait aisément, si des peintures n’en avaient été faites, qui ne laissent pas place à l’imagination. Le jeu, l’ivrognerie et la débauche constituaient les habituelles distractions des jeunes hommes. Si, du moins, ceux qui trouvaient à se marier avaient pu réaliser dans le mariage la sécurité d’une vie ordonnée et normale, mais, pour beaucoup, cela n’était pas le cas. Le beau sexe n’avait point échappé aux inconvénients d’une situation par trop privilégiée. Les femmes, trop courtisées, trop recherchées, avaient négligé leurs devoirs réels pour se créer des obligations et des intérêts factices ; elles se mettaient à la poursuite de leurs droits électoraux, s’insurgeaient contre une prétendue tyranie, dont elles n’avaient guère à souffrir et adhéraient bruyamment aux doctrines d’Eliza Farnham, qui proclamait le dogme de la supériorité absolue de la femme et de l’asservissement nécessaire de l’homme à ses volontés.

Le désordre intellectuel et moral aux États-Unis atteignit son apogée à la veille de la guerre de sécession. Il fallait à ce moment une robuste confiance pour ne pas désespérer de l’avenir de la grande République. L’édifice politique, si ébranlé qu’il fût par les dissensions résultant des institutions esclavagistes du Sud, semblait