Page:La Nouvelle revue. vol. 106 (May-June 1897).djvu/472

Cette page a été validée par deux contributeurs.
464
LA NOUVELLE REVUE

imitent inconsciemment ses gestes et, s’il se tait un instant, tombent à demi pâmées sur le sol.

Des scènes d’hystérie, des coups de couteau, des adultères et de l’ivrognerie, aucun revival ne va sans cela. Ceux qui les organisent le savent bien. « La passion religieuse, dit tranquillement un prédicateur méthodiste, comporte toutes les autres passions ; vous pouvez difficilement soulever l’une sans exciter les autres en même temps. » Et néanmoins, il s’imagine — et ses pareils s’imaginent comme lui — faire « l’œuvre de Dieu » en causant tout ce désordre.

Comment est-il en leur pouvoir de le causer ? Quand bien même leur éloquence serait irrésistible, profonde, variée, séduisante, quel est le talent qui ne s’épuise en quelques heures ? Or le revival dure huit jours, quelquefois quinze ; les plus riches parmi les auditeurs se lassent les premiers : ils songent à leur blé qui pousse, à leurs défrichements qui pressent ; c’est le signal de la défection ; pourtant le camp se dépeuple lentement. Quelquefois, au bout de trois semaines, les tentes sont encore dressées et l’éternel sermon se prolonge. Que si vous prêtez l’oreille à votre tour, vous, étranger venu de loin en curieux et non en élu, vous ne saisirez que des arguments sans force et sans portée, empreints d’une désolante banalité ; quant aux phrases, elles se déroulent avec une abondance qui déconcerte : mots sonores, pléonasmes sans fin, images assombries. Ce qui frappe le plus, c’est la violence : violence dans les attaques contre le siècle, dans les accusations contre l’humanité ; excès dans le mal dénoncé comme dans le remède proposé. Tout est absolu, véhément, exagéré. Le langage est une amplification de la Bible ; la pensée, une déformation de l’Évangile. En Europe, on mettrait la main au collet de l’énergumène susceptible de parler aux foules en termes aussi subversifs ; mais les foules, à supposer qu’elles s’assemblent pour l’entendre, se disperseraient d’elles mêmes en haussant les épaules. Or ces choses se passent dans un pays infiniment plus éclairé, plus instruit que l’Europe, dans un pays qui donne chaque jour les preuves de son magnifique bon sens. Il y a donc dans l’âme américaine un élément inconnu, un vide qui veut être comblé, une aspiration qui veut être satisfaite. Pendant toute la période s’étendant de la présidence d’Andrew Jackson à la guerre de sécession, les revivals se multiplient et une infinité de sectes se fondent ; ce ne sont point, comme en Angleterre, des églises, des chapelles,