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loyalisme ; en réalité, ils n’étaient que des égoïstes ; ils avaient escompté son triomphe et le partage des dépouilles de leurs frères vaincus, en récompense de leur fidélité.

La principale cause de découragement, c’était l’absence de crédit ; il en résultait une baisse indéfinie sur le papier-monnaie émis par le congrès. Un jour vint où la paye annuelle d’un soldat n’eût pas suffi à lui procurera dîner pendant huit jours et où une paire de chaussures valut 400 dollars. C’est alors que l’intervention de la France s’exerça d’une manière décisive. On a beaucoup écrit sur ce sujet, mais longtemps les documents ont fait défaut pour apprécier l’importance et le caractère de cette intervention. La publication du mémorandum de M. de Vergennes, de la correspondance de Beaumarchais et de celle des agents américains à Paris a maintenant levé tous les doutes, il faut distinguer entre l’intervention de La Fayette et de ses compagnons et celle de Louis XVI et de ses ministres. Les services rendus par La Fayette sont de ceux dont on ne saurait trop parler. Les Américains n’ont pas rendu à sa mémoire des honneurs immérités et la tentative de quelques-uns de leurs historiens actuels pour amoindrir de ce chef l’action française ou même y substituer celle d’une autre nation est une œuvre de mensonge digne de tous les mépris. Quant au gouvernement français, son entrée en scène manqua de franchise et d’à-propos. La flotte de d’Estaing rendit si peu de services que les Américains, déçus dans leur espoir, firent à ses marins le plus médiocre accueil. Vers la fin de la guerre, un effort sérieux fut accompli. Mais il était bien tard. La partie était jouée et la défaite de l’Angleterre déjà consommée. L’alliance française cependant eut un résultat : elle hâta la paix. L’Angleterre aurait pu continuer à guerroyer, sans espoir de vaincre, mais pour achever de ruiner son adversaire. La France lui força la main en même temps qu’elle donnait à la nouvelle république une façade sur l’Europe[1].

  1. Les Pays-Bas furent la seconde puissance européenne qui reconnut les États-Unis. Ils le firent de mauvaise grâce et l’histoire des tribulations par lesquelles dut passer l’envoyé américain John Adams pour être admis à présenter ses lettres de créance montre combien l’appui de la diplomatie française fut utile aux États-Unis. La paix, au moment de se conclure, faillit être compromise par les intrigues des deux commissaires américains chargés de la négocier, Jay et Adams. Jay était, comme beaucoup de ses compatriotes, un francophobe, car il est avéré que, quelques individualités mises à part, la