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furent parfois accordées sous forme de primes : prime pour l’indigo en 1748, pour le lin et le chanvre en 1764, pour la soie brute en 1770. Une autre forme de faveur consistait dans les droits différentiels qui frappaient des produits similaires étrangers ; tel produit étranger payait le double de ce que payait le même produit issu des colonies anglaises. Donc, « d’un côté, interdiction aux colonies de s’adonner à l’industrie et obligation, sauf quelques exceptions, de se fournir d’objets manufacturés anglais ; de l’autre côté, faveurs spéciales accordées aux colons pour la production de certains produits naturels nécessaires à la métropole et obligation pour la mère patrie de prendre les denrées coloniales de préférence aux denrées étrangères[1] ». Quatre ou cinq générations de politiques subtils avaient édifié ce monument de bêtise humaine devant lequel l’Angleterre tout entière se tint en admiration, on pourrait dire en vénération, pendant de longues années. Aussi, lorsque la révolution se produisit au delà des mers, en Angleterre la consternation fut générale. Déjà, les habitants de Bristol entrevoyaient leur port déserté et l’herbe poussant sur les quais de débarquement. Or, dès 1784, au lendemain de la paix, le commerce avec l’Amérique affranchie s’accrut au point que peu d’années après il fallut agrandir le port de Bristol. Cette preuve éclatante de l’inanité du système mercantile n’empêcha pas que l’on ne continuât d’en faire aux Antilles une application désastreuse. Cet état de choses n’avait pas seulement, à l’époque que nous étudions, l’inconvénient de rendre la révolution inévitable dans un avenir plus ou moins éloigné, il avait encore celui d’aveugler complètement les Anglais sur les conséquences de la ligne de conduite qu’ils avaient adoptée. Nul, parmi eux, ne s’imaginait que les plantations anglaises de l’Amérique du Nord, comme ils s’obstinaient à les appeler, pussent jamais prétendre à vivre d’une vie nationale indépendante. Tous ceux qui visitèrent ces plantations, le Suédois Peter Kalm en 1748, Turgot en 1750, prédirent les événements de la fin du siècle ; les Anglais seuls n’en soupçonnèrent jamais l’éventualité menaçante.

Et pourtant ce ne fut pas sur une question commerciale que la crise éclata. De même que la colonisation avait commencé au

  1. Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes.