Page:La Nouvelle revue. vol. 104 (Jan.-Feb. 1897).djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
LA NOUVELLE REVUE.

distances… Cela n’empêcha pas les coloniaux d’acquérir de l’expérience et du sang-froid, mais cela les empêcha de prendre d’eux-mêmes une opinion trop glorieuse. À cette rude école se formèrent aussi des chefs dignes de les commander : Gates, Montgomery, Stark, Arnold, Morgan, Putnam, qui devaient former autour de Washington l’état-major de la liberté.

La liste était déjà longue des griefs que les coloniaux auraient eu le droit de formuler envers la mère patrie et, chose curieuse, toutes les injustices subies n’ébranlaient point leur fidélité. Les derniers triomphes de l’Angleterre réjouissaient leur loyalisme ; ils se sentaient fiers et heureux d’y avoir contribué. Il est important de noter que si le sentiment unitaire faisait des progrès parmi eux, le sentiment séparatiste n’existait même pas : ils l’eussent repoussé avec horreur. Ils se sentaient Américains, mais ils demeuraient Anglais ; ils le demeuraient avec une passion qui s’avivait par l’effort récent et par l’impression de la victoire que la race venait de remporter. Ils s’habituaient ainsi à la coexistence de deux patriotismes, l’un dominant et englobant l’autre. Comme ils avaient aimé l’Angleterre par-dessus l’Amérique, ils aimèrent plus tard l’Union par-dessus leur État particulier. C’est ici le point de départ de ce dédoublement de l’âme américaine sur lequel il nous faudra revenir parce que le fait est nouveau dans l’histoire et qu’il a joué un rôle considérable dans la formation des États-Unis. Pour le moment, leur attachement envers l’Angleterre les consolait des difficultés de la situation et des entraves apportées au développement des colonies. Ces entraves étaient nombreuses ; depuis 1651 elles ne cessaient de se multiplier et de s’aggraver. L’acte de Navigation passé cette année-là n’autorisait l’exportation que par les navires anglais ; il était dirigé principalement contre les Hollandais de New-York. En 1660, il fut confirmé, étendu aux importations et, dès lors, plus sévèrement appliqué. En 1663, on alla plus loin, et cette fois avec l’intention avouée de resserrer les liens par lesquels les colonies tenaient à l’Angleterre. On fit de l’Angleterre l’entrepôt des colonies. Les marchandises devaient maintenant passer par ses mains ; les Américains n’avaient plus le droit d’acheter ailleurs.

Ces exigences développèrent tout naturellement le commerce intercolonial et les commerçants de la métropole, s’en étant aperçus, firent entendre des doléances et obtinrent l’acte