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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

pied. Une tempête les surprend sur un radeau improvisé, traversant une rivière dont les flots impétueux charrient d’énormes blocs de glace qui brisent le radeau. Washington est bon nageur ; il atteint une île déserte et s’y creuse un abri dans la neige. La nuit passe ; au matin, un froid intense solidifie la rivière et Washington est sauvé. Ce pays qu’il vient de parcourir, il le gouvernera après l’avoir émancipé et le monde ne saura ce qu’il faut le plus admirer, de la sagesse de l’homme d’État ou des talents du chef d’armée. Toute cette gloire est enfermée dans la hutte de neige, et avec elle les destinées d’un grand peuple.

Ni la prise de Québec ni celle de Montréal, l’année suivante (1760), ne mirent fin à la guerre. Elle se prolongea même après la signature du traité de Paris (1763) qui consacrait l’échec définitif de la colonisation française en Amérique. Un chef indien, Pontiac, parvint à nouer une coalition des diverses tribus algonquines et de deux tribus iroquoises. Il se saisit de huit forts dont les garnisons capitulèrent et ravagea le nord-ouest de la Nouvelle-Angleterre. Mais sa tentative venait après la défaite des Français. Si les deux efforts avaient pu être faits simultanément, le résultat final eût sans doute été différent. Pontiac fut chassé après deux ans de luttes vers l’Illinois où il fut tué et dont les Américains s’emparèrent. La guerre, maintenant, était terminée. Elle coûtait aux colonies 30,000 hommes et 80 millions de francs, somme dont l’Angleterre ne remboursa pas même le tiers. Pour solder ces dépenses, les Américains s’étaient imposé de terribles sacrifices. Dans certaines colonies les contribuables avaient prélevé jusqu’au tiers de leurs revenus, et dans d’autres, jusqu’aux deux tiers. Mais ces impôts ayant été établis par leurs représentants librement élus, ils n’avaient pas murmuré. Par ailleurs, un résultat moral très considérable était atteint. Les rivalités, les jalousies entre gens du Nord et gens du Sud s’apaisaient. La promiscuité du champ de bataille est la plus effective et la plus durable. La nationalité américaine, qui se cherchait, commençait à se manifester. Les Anglais, maladroitement, y aidaient de tout leur pouvoir. Les exploits des coloniaux ne leur avaient pas conquis l’estime britannique ; au contraire, les officiers de l’armée régulière s’en étaient sentis humiliés. Il n’y avait sorte de moqueries, de tracasseries qu’ils n’inventassent pour marquer leur dédain envers ces lourdauds, ces paysans, ces encroûtés qui ne savaient ni marquer le pas, ni tenir leurs