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coloniales. Faute de suivre leurs progrès dans la rude carrière que les circonstances leur firent parcourir, on demeure interdit devant le résultat atteint. Comment concevoir, en effet, que des soldats improvisés n’ayant ni l’habitude de la discipline, ni l’expérience de la guerre, ni surtout cette confiance que donne à des troupes en campagne la bonne organisation des services d’approvisionnement, comment concevoir que de tels soldats aient pu résister aux vétérans britanniques et forcer la mère patrie, après quatre années d’efforts, à s’avouer vaincue ? Le problème ainsi posé est insoluble. On le résout en donnant à l’intervention de la France un caractère décisif qui n’est point conforme à la réalité. L’alliance française apporta aux colonies révoltées une force morale dont elles auraient eu beaucoup de peine à se passer. Mais l’appoint matériel fut faible et tardif. La vérité, c’est que, fortement trempées par quatre-vingt ans de lutte armée, les colonies se trouvaient, en 1775, en état de soutenir une dernière lutte, plus redoutable encore que les précédentes[1], pour conquérir la liberté. On ne saurait donc étudier de trop près la portion de l’histoire américaine comprise entre la proclamation de Guillaume d’Orange comme roi d’Angleterre et ce fameux combat de Lexington où tombèrent les premières victimes des balles anglaises.

Une nuit d’hiver de l’année 1690, un corps franco-indien surprit la petite bourgade de Shenectady, située dans la colonie de New-York, au nord d’Albany. La neige couvrait le sol. Français et Peaux-Rouges descendaient du Canada, les snow-shoes au pied, courant sur leurs longues raquettes. Les habitants de Shenectady se croyaient en sécurité. Par une ironie du sort, leurs ennemis trouvèrent à l’entrée du bourg deux grandes sentinelles de neige que les enfants, la veille, s’étaient amusés à construire. Un peu après minuit, la tuerie commença. Deux heures durant, hommes, femmes et enfants furent massacrés. Quelques hommes

  1. Ce point est encore controversé. Cependant, la publication du rapport de M. de Bonvouloir, envoyé secret du gouvernement français aux États-Unis, ne permet plus de doute. M. de Bonvouloir, qui avait déjà visité l’Amérique et avait précédemment servi dans l’armée française, était déguisé en marchand d’Anvers. Son rapport, daté de Philadelphie le 28 décembre 1775, contient ces lignes : « Chacun ici est soldat. Les troupes sont bien habillées, bien payées et bien commandées. Ils ont à peu près 50,000 hommes de troupes payées et un grand nombre de volontaires qui refusent de l’être. »