Page:La Nouvelle revue. vol. 104 (Jan.-Feb. 1897).djvu/520

Cette page a été validée par deux contributeurs.
512
LA NOUVELLE REVUE.

sentés : « Monsieur, les circonstances qui ont amené cette entrevue sont très particulières, mais le langage que vous venez de tenir et les sentiments dont vous m’apportez l’assurance sont si bien en rapport avec ces circonstances que je puis vous assurer très sincèrement du plaisir que j’éprouve à vous recevoir. Je désire que vous sachiez et que tous les Américains sachent de même que je n’ai rien fait, pendant la durée du récent conflit, qui ne m’ait été dicté par le sentiment de mes devoirs envers mon peuple. J’ai été le dernier à admettre la séparation ; aujourd’hui que la séparation est accomplie et scellée définitivement, je veux être le premier à reconnaître amicalement l’indépendance des États-Unis. Du moment que j’entrevois chez vos compatriotes une tendance à traiter mon pays d’une manière privilégiée, je ne puis que souhaiter très sincèrement que l’unité du langage, la similitude de la religion et les liens du sang exercent sur les relations des deux peuples une heureuse et complète influence dans l’avenir. »

Ce speech n’était pas absolument correct, mais il se trouva prophétique. Georges iii ne devait point voir les jours qu’il évoquait. À vrai dire, ils furent longs à venir, puisqu’ils commencent à peine. Les Anglais, par leur mauvaise volonté et leur arrogance, découragèrent le parti anglophile ; à un moment ils l’anéantirent presque et Tocqueville put écrire dans la relation de son voyage : « On ne saurait voir de haine plus envenimée que celle qui existe entre les États-Unis et l’Angleterre. » La guerre de sécession modifia les dispositions des Anglais ; ils se sentirent fiers d’avoir donné le jour à une nationalité si vivace et cessèrent de se moquer de la prononciation yankee. Les deux gouvernements réglèrent par voie d’arbitrage des contestations qui eussent amené, vingt ans plus tôt, un conflit armé. Les froissements d’amour-propre sont encore fréquents ; on les évite pourtant avec soin. L’attitude est celle de très proches parents qui, pendant une brouille, se sont écrit beaucoup de lettres d’injures et qui se sentent un peu gênés, la réconciliation opérée, de dîner les uns chez les autres. Ce qui favorise le rapprochement, c’est que la famille est maintenant nombreuse. Les États-Unis ont des cousins avec lesquels ils sympathisent franchement ; le Sud-Afrique, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et même le Canada qui ne craint plus d’être envahi regardent la démocratie américaine avec une admiration non équivoque et souhaiteraient peut-