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LE FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

seurs sans fortune refuser des situations lucratives pour s’adonner à des travaux qui les passionnent. Toutes ces universités possèdent des revenus fabuleux et pourtant, comparés à ce qu’ils sont en Angleterre, les traitements des professeurs demeurent relativement bas. Tout passe à édifier de somptueux bâtiments, à constituer des bibliothèques, à équiper les laboratoires. Cette richesse doublera d’ici à cinquante ans ; l’enthousiasme va croissant à chaque génération et se traduit en legs inscrits dans les testaments par la reconnaissance des anciens élèves envers leur alma mater. Il y a longtemps que le monde n’avait vu un mouvement intellectuel aussi intense. La chasse à la science est plus vigilante et plus animée que la chasse au dollar.

Mais les bons effets de cet état de choses sont jusqu’à un certain point annihilés par l’esclavage dans lequel se tiennent volontairement les esprits ; esclavage des formes et des méthodes qui n’est pas sans analogie avec celui de la vieille scolastique. On redoute les envolées de l’imagination ; on arrête ses élans ; on se couche sur des faits dont très peu ont de l’importance, dont la plupart sont insignifiants. Ce peuple, qui aimait l’éloquence et versait volontiers dans le pathos, se méfie maintenant de tout ce qui est coloré, de tout ce qui jaillit, sauf au temps des élections ; alors il a congé et s’en donne à cœur joie ; puis il retourne à la sécheresse des déductions mathématiques, à la froideur de cette statistique qui a aussi son pathos, le pire de tous ! Faute de faits, la presse vit de niaiseries et de blagues. Par crainte de l’inutilité des idées générales, on atteint l’absurdité des détails infimes. La nationalité américaine est trop vigoureuse pour ne pas briser le moule dans lequel on l’enferme, mais elle perd un temps précieux ; c’est peut-être un demi-siècle de retard que la science allemande, malgré ses mérites et ses beautés, lui aura imposé. Jamais une race n’a agi sur une autre race d’une façon aussi pernicieuse et aussi néfaste. Le remède, au point de vue du nouveau monde, consisterait dans un rapprochement avec la civilisation latine et française ou simplement dans un retour vers les pures traditions anglo-saxonnes.

Lorsqu’au lendemain de la paix de Versailles le roi d’Angleterre reçut les lettres de créance du premier ambassadeur des États-Unis qui n’était autre que John Adams, le souverain fut d’abord un peu troublé ; puis, se remettant de son émotion, il répondit en ces termes aux compliments qui lui étaient pré-