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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

monde ! Et telle est l’influence du Kentuckien qu’elle déborde sur les États de l’Est et domine absolument le gouvernement fédéral. Au Sud, le coton est roi ; avant que Whitney eût inventé sa fameuse machine, cette culture était peu rémunératrice ; maintenant, c’est à qui en produira le plus. Au Nord, les affaires financières ont pris une énorme extension. Mais dans les bureaux de New-York et de Boston comme dans les plantations géorgiennes ou louisianaises, l’idéal kentuckien s’est infiltré : on rêve de faire grand, d’amplifier (magnify) toutes choses et de déplacer l’équilibre du monde. Cela se traduit dans les discours ; car chacun parle. Les étudiants emploient leurs loisirs universitaires à s’exercer dans l’art de la parole. Les fermiers font des lieues en charrette par des chemins défoncés pour entendre un orateur célèbre. Le centre de toute cette éloquence est le Sénat fédéral. Le hasard y a réuni trois hommes aux lèvres desquelles toute la nation demeure suspendue ; ils sont bien différents d’origine et de caractère. Clay a les qualités et les brillants défauts des Kentuckiens ; Webster a enseigné dans les écoles puritaines de la Nouvelle-Angleterre, sa patrie ; Calhoun appartient à la Caroline du Sud dont il sert les intérêts en défendant l’esclavage. Mais tous les trois ont, au même degré, le culte de la grandeur nationale. Ils aiment d’autant plus l’Union qu’ils la sentent menacée ; ils tremblent que le démembrement tant redouté ne se produise. Ils mettent tous leurs talents et tout leur cœur à trouver des compromis, afin d’ajourner tout au moins la crise[1] et de gagner du temps.

Le conflit est inévitable ; ce zèle patriotique le retarde de dix années, mais il n’est au pouvoir de personne d’empêcher qu’il n’éclate. L’Union, cependant, est bien cimentée. On a prétendu qu’elle avait grandi trop vite, que l’esclavage n’était qu’un prétexte, que les véritables motifs de la rupture résidaient dans l’étendue démesurée du sol, dans les divergences d’intérêts et les jalousies réciproques des États, qu’ainsi cette rupture se fût produite fatalement, même si l’esclavage n’avait pas existé. Mais c’est là une erreur capitale. L’Union, au contraire, a prouvé sa force en résistant si longtemps à une cause de dislocation qui eût agi bien plus rapidement sur des nationalités moins jeunes et en

  1. Calhoun, toutefois, ne demeura pas fidèle à ce programme et son zèle esclavagiste l’entraîna dans une voie antinationale.