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de baisers, une intimité si étroite, deux ans de notre vie ! Comment abolir ce qui a été, ce qui est, l’amour prédestiné qui trouve enfin son heure ? Est-ce que tu pouvais être à un autre, ou ne pas être à moi ? Allons donc ! C’est vrai qu’il manquait à notre amour l’épreuve suprême, la consécration du don accompli dans la douleur. Oh ! chérie, la volupté dont je tremble encore n’eut rien d’impur. Ce n’est pas la sensualité, ni l’orgueil d’une revanche qui m’ont jeté dans tes bras. Non, mon amie, tu es venue à moi quand tout m’abandonnait, tu m’as aimé vaincu, humilié, misérable. La douce habitude ancienne a triomphé de la coalition des forces obscures qui préparaient lentement l’amour… Entends-moi, regarde-moi ! Je t’aime. Quand, au fond de ma détresse, j’ai vu s’adoucir ton sourire, quand tu m’as dit : « Tu n’es pas seul au monde, me voici ! » mon cœur s’est fondu. J’ai senti que je ne connaissais pas l’amour véritable, que tout avait été parodie, ébauche, illusion. Oh ! le choc terrible, la révélation dont je suis aveuglé ! Vois, depuis que je me suis arraché de toi, je frémis et je pleure et mon bonheur ressemble au désespoir.

Derrière le rideau, la lampe agonisante palpitait à grands coups d’ombre et de lumière qui nous cachaient l’un à l’autre et nous révélaient tour à tour. Maxime, penché vers moi, d’un souffle ardent, balbutiait des paroles que je ne distinguais plus. Il cria tout à coup :

— Je vais partir. Je ne te verrai plus, Marianne !

Alors, je me soulevai vers lui. J’entourai de mes bras cette tête maudite et chérie qui retomba près de ma tête sur l’oreiller. Et soumis, acceptant la destinée de souffrances et de luttes communes, éperdus de tendresse et de tristesse, nous pleurâmes jusqu’au jour.


XXIV

Maxime à Marianne.
Le Havre, juillet 188…

Le paquebot part demain. J’ai ouvert ma fenêtre sur la nuit pluvieuse, sur le port où se croisent, parmi les appels des sirènes, des feux multicolores et mouvants. Je ne suis pas triste,… mais devant l’inconnu de l’avenir, pareil à ces noires profondeurs de la mer et de la nuit que mon regard interroge, une émotion suprême me saisit… Certes, j’emporte, vers cette Amérique où