Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/815

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Alors ?

— Alors, je te rendrai tes lettres, ton portrait, et cette tresse de cheveux que j’ai portée si longtemps sur ma poitrine. J’étais si bêtement sentimental ! Vraiment, mes adversaires auraient peine à croire que ce même homme… Enfin, tu seras contente, libre, et tu me tendras la main sans rancune, pour l’adieu éternel.

Sourdement, il parlait et sur cette force intacte, sur cette virile jeunesse, je voyais planer des menaces de mort. Maxime m’apparut couché dans un lit d’hôpital, au pays de la fièvre jaune ou, livide, étendu sur l’herbe d’une clairière, l’épée de Guillemin en travers du cœur.

— Que tout soit oublié ! dis-je. C’est mon plus cher désir. Je souhaite que tu vives et que tu sois heureux.

— Vœux stériles ! dit-il en souriant tristement. Toi, tu peux être heureuse. Je te remercie et je te promets tes lettres pour demain. Si je suis vivant, je te les remettrai moi-même, sinon mon ami Sidley te les apportera ici.

Maxime prit le dernier train. J’admirais cette maîtrise de soi dont il avait donné tant de preuves et qui m’apparaissait aujourd’hui comme une forme d’héroïsme, la sécurité du lutteur qui a combattu pour une cause, bonne ou mauvaise, et dédaigne la défaite comme il eût méprisé la victoire. En parlant de son départ probable, il était calme, presque enjoué. Du duel annoncé, pas un mot. Je lui savais gré de ménager sa mère, tout à fait incapable de surmonter la moindre émotion. Pourtant, quand il la quitta sur le quai de la gare, il renouvela plusieurs fois le baiser d’adieu, contre sa coutume, car les caresses filiales ne lui étaient pas familières. Il me prit la main, la serra doucement et me regarda d’un grand regard énigmatique où je n’osai lire le désir et le regret d’un baiser qui, à cette minute, eut pris la solennité d’un adieu peut-être éternel. Hélas ! rien ne s’abolit, rien ne s’efface et si je pouvais haïr Maxime, je ne pouvais me désintéresser de lui. Le passé tressaillait en moi devant cet homme qui m’avait aimée et tenue dans ses bras, pâle et sans défense. Une voix me criait que c’était horrible de nous séparer ainsi. Mais je ne fis pas un geste ; je ne prononçai pas une parole. Le train siffla en fuyant dans la nuit et je retournai à la maison, le cœur gonflé, les nerfs tendus, prête à des sanglots dont je ne voulais pas m’avouer la cause.