— Tu ne peux pas ?
— Je ne peux pas… Tu n’aurais pas dû me dire… ce que tu m’as dit… Cela a changé quelque chose, je le sens… Et puis la mort de ton père… J’ai eu l’esprit très frappé… J’ai les nerfs malades… Enfin, je ne suis pas assez sûre de moi-même pour m’engager.
— Prétextes ! dit-il avec fureur… Tu connais quelqu’un qui te fait la cour ?… Tu as un projet, une intrigue… Tu veux te débarrasser de moi… pour te marier… Allons, il serait plus simple… et plus brave, de me dire la vérité… Imbécile que je suis ! J’aurais dû m’y attendre… Ne sors-tu pas seule ?… Qui sait où tu vas et ce que tu fais ?
— Personne ne me courtise. Je n’aime personne, dis-je tristement… Je suis lasse, horriblement lasse. Je ne demande qu’à vivre seule, oubliée, cachée dans mon coin… Je ne sens plus mon cœur. Je ne désire rien et je ne puis me souffrir moi-même…
— Tu es folle ! dit-il en haussant les épaules.
Il vint s’asseoir près de moi et voulut m’embrasser. Je détournai la tête. Il murmura avec stupeur :
— Ah ! tu ne m’aimes plus… Je le sens… Je le vois… Mais qui donc t’a ainsi changée ?…
— Toi-même.
— Comment ?
— Tu m’as dit trop de choses… Je suis effrayée… Je n’ose plus me confier à toi… Tu es si énigmatique, si inquiétant ! Ton amour me fait peur… Je veux vivre triste et tranquille. Suis ta destinée. Sois heureux… Oublie-moi.
— Parles-tu sous l’influence d’un énervement passager, ou bien as-tu médité tes paroles ?
— Je n’ai rien médité. Je parle sincèrement, en femme consciente de ce qu’elle dit… Tu ne dois plus penser à moi.
— C’est brutal.
— C’est net… Tu m’as demandé d’être franche. Je le suis. Nous nous sommes trompés tous les deux.
Il s’était levé. Il marchait à grands pas, déguisant sa fureur sous un air de raillerie dédaigneuse.
— Oui, c’est net et imprévu. Soit. Comme il te plaira. Ah ! tu me supprimes avec grâce. Et dis-moi, ma chère, tu renonces à mon alliance, comme cela, sans raison, par révolte de vertu ? Le cas est rare. Et si je me rappelle le passé…