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rassurer ! — le paysage de boue, ma propre lâcheté — toute la nuit m’obsédèrent. Je regardais Maxime qui s’était assoupi un peu avant l’aube, et ce front martelé, ces cheveux drus, ces lèvres amères, ce visage livré dans la sincérité du sommeil, ne m’inspiraient plus l’attendrissement étrange qui fut peut-être la confuse promesse de l’amour. Je me rappelai les années de mon adolescence inquiète, mes velléités religieuses, les premières ébauches de la passion et cet idéal indécis et charmant que mon âme ignorante avait incarné dans la personne de Rambert… Je les regrettai, ces mois d’attente et de rêverie dont la douceur douloureuse ne dépravait pas mon cœur, l’amour ingénu, les larmes puériles… J’avais bu la prime rosée dans le calice pur de la fleur sauvage. Puis Maxime m’avait offert le vitriol de ses caresses corrosives… Et je pouvais gémir avec la poétesse antique : « Virginité, virginité, tu me quittes ! Où t’en vas-tu ? »

— Mais il est temps encore, murmurait une voix en moi-même. Tout fut aventuré — rien pourtant n’est perdu. Fais un effort. Arrache-toi de cet homme… Un autre viendra qui sera ton maître et ton élu. Et celui-là, respectueux et respecté, te donnera la vie normale, l’amour légitime, la maternité. Garde-toi. Prends patience.

Ah ! dût celui-là ne jamais venir, je ne voulais pas être à Maxime !

La triste cérémonie terminée, je me retrouvai seule avec le jeune homme. Un instant, j’avais pu croire qu’une salutaire émotion avait touché cet impassible, quand à l’église, puis au cimetière, il m’était apparu pâle et pensif. Je voulus lui témoigner quelque compassion.

— Ce sont de terribles moments, n’est-ce pas ?… Car, malgré tout, tu aimais ton père. Tu semblais accablé…

— Que veux-tu ? J’ai été décent.

Odieuse et maladroite parole !… Vainement Maxime se montra plus tendre pour sa mère ; vainement il cessa ses obsessions, sans afficher de la rancune et comme pour m’accorder un délai… Je m’éloignais de lui par l’effort d’une volonté toujours tendue, décidée à rompre ces liens que j’avais formés moi-même et moi-même resserrés… Je préparais lentement la rupture, attentive à ne plus m’attendrir, résolue à chérir la solitude où mon âme se réfugiait.