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LA NOUVELLE REVUE.

davantage, comme on a voulu le prétendre, d’habiles spéculateurs couvrant du masque de la religion leurs projets de défrichement et de mise en valeur du sol américain. Ce qu’ils voulaient, c’était créer un État modèle, un État chrétien selon la conception étroite et fausse qu’ils avaient du christianisme. Ils s’enflammaient pour des idées et émigraient pour les réaliser. Leur première préoccupation avait été, non pour le blé, mais pour les institutions. Ils croyaient fermement que leur tentative serait bénie de Dieu et fournirait aux hommes le germe de la rénovation sociale. C’est pourquoi, de la meilleure foi du monde, ils furent haineux et prescripteurs. En abordant ils avaient prononcé le mot hébreu de Salem (paix). Mais cette paix qu’ils annonçaient ainsi ne devait régner qu’après les « destructions nécessaires ». Ils s’inspiraient du tribunal de l’Inquisition plus que de la morale évangélique.

Leurs victimes furent nombreuses. Les quakers, coupables seulement d’un peu de désordre occasionné par leurs prédications et les catholiques, furent les plus maltraités. Tout quaker qui, frappé par la loi et expulsé, revenait dans la colonie, avait à chaque récidive une oreille coupée ; à la troisième, la langue percée d’un fer rouge. Ces barbaries portent la date de 1657. Le premier article des lois du Connecticut commençait ainsi : « Quiconque adorera un autre Dieu que le Seigneur sera mis à mort. » Une loi établie à New-York en 1701 condamnait tout prêtre catholique arrêté sur le territoire de l’État à la prison perpétuelle, à mort si on le reprenait après évasion. Les protestants devenus maîtres du Maryland y décrètent en 1704, pour encourager l’apostasie, qu’un père sera forcé de donner une partie de ses biens à l’enfant qui abjurera la foi catholique. De telles rigueurs s’étendaient jusqu’en Virginie, où l’office du dimanche était rendu obligatoire, la deuxième abstention étant punie du fouet et la troisième de mort. Là c’étaient les Anglicans qui opprimaient les puritains en même temps que les catholiques. Mais l’organisation virginienne avec ses grandes plantations espacées ne permettait pas une stricte application de la loi. Dans les agglomérations du Massachusetts, au contraire, nul n’échappait à sa rigueur. Elle pénétrait partout d’une manière odieusement indiscrète. Non seulement un homme était frappé de verges pour s’être livré le dimanche à la plus inoffensive distraction, mais sa nourriture et son vêtement devaient être conformes aux règlements. Quiconque