Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/733

Cette page a été validée par deux contributeurs.
721
LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

l’œuvre de colonisation proprement dite n’a pris naissance ni ici ni là. L’honneur de l’entreprendre était réservé à une poignée d’exilés volontaires que ni l’appât du gain ni l’esprit d’aventure ne poussaient loin de leur première patrie et qui ne poursuivaient, en peuplant les rivages de la seconde, qu’un idéal austère de régénération morale. Tel était bien l’état d’âme de ces 102 « pèlerins » que le May Flower débarquait le 22 décembre 1620 dans la baie déserte à laquelle l’explorateur John Smith avait donné précédemment le nom de Plymouth. Ceux-là étaient sans esprit de retour ; ils avaient derrière eux tout un passé d’infortune : une première odyssée les avait conduits en Hollande, où ils n’avaient trouvé ni de quoi vivre, ni cette liberté qui était pour eux le plus désirable des biens. Cette fois, ils arrivaient sans ressources, sans inquiétude non plus, comptant sur la Providence pour y pourvoir. Dans une hutte indienne abandonnée, ils avaient trouvé en effet du maïs, et le sol, étant fertile, leur avait fourni une récolte abondante. Mais avant qu’elle eût mûri, les rigueurs de l’hiver les avaient décimés sans leur inspirer le désir de reprendre la mer. Leur constance était au-dessus de toutes les épreuves. Naïvement ils avaient établi le communisme et n’en réalisérent que peu à peu les impossibilités. Le fameux covenant rédigé par eux sur le pont du May Flower, la veille du débarquement, ne stipulait autre chose que le respect de la loi divine à laquelle ils juraient de rester fidèles et l’attachement inaltérable au roi d’Angleterre, leur persécuteur, dont ils entendaient rester les « loyaux sujets ». L’organisation matérielle et l’extension de leur colonie ne les préoccupaient guère. Ceux qui huit ans plus tard étaient venus les rejoindre faisaient preuve d’un esprit plus pratique et d’un moindre dédain des choses de ce monde. Ils avaient voulu une charte et se l’étaient procurée à force d’intrigues et d’argent. Ils apportaient de quoi ensemencer les terres que Charles ier leur concédait. Ce n’étaient pas les premiers venus. Parmi eux se trouvaient le révérend Cotton, pasteur de Boston dans le Lincolnshire, émigrant avec une partie de son troupeau, Hugh Peter qui, par la suite, rentré en Angleterre, y devint le chapelain d’Olivier Cromwell, Winthrop, un gentilhomme instruit et distingué qui, à l’âge de quarante-deux ans, abandonnait son manoir de Sussex. De tels hommes n’étaient point des affamés, ni même des persécutés comme les pèlerins, car ils ne visaient qu’à améliorer selon leurs idées et non à détruire l’Église établie. Ils n’étaient pas