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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

En 1700, on est loin d’une telle pensée. Elle ne hantait aucun cerveau. Bien plus, elle ne satisfaisait personne. Un résultat toutefois semble acquis. Les deux groupes de colonies anglaises se sont rapprochés ; la barrière néerlandaise ne les sépare plus. Sans doute New-York et ses environs demeurent peuplés de représentants de toutes les races de l’Europe, mais la langue anglaise se répand parmi eux. On la parle, premier symbole de l’unité future, depuis la Nouvelle-France jusqu’à la rivière Saint-Jean. À vrai dire, et malgré qu’il y ait dans les dix colonies une population d’environ 300,000 Européens, c’est peu, comparé aux forces dont semblent disposer, au nouveau monde, la France et l’Espagne.

La puissance espagnole est déjà vieille de deux siècles. Tandis que ses solitudes sombres, ses profondeurs farouches et surtout l’absence de toute civilisation indigène ont maintenu l’Amérique du Nord dans une bienheureuse obscurité et ont détourné d’elle les tristes convoitises du vieux monde, des drames sanglants se sont déroulés dans le centre et le sud du vaste continent. Cortez a anéanti la puissance de Montezuma ; Pizarre et Almagro se sont arraché les dépouilles d’Atahualpa et, sur les ruines de leurs empires, s’élèvent de puissantes vice-royautés qu’entoure le somptueux appareil des cours. Une noblesse héréditaire peu nombreuse et fermée, un clergé ambitieux et cruel forment une société vieillie dès sa naissance. Quand, sur la côte déserte de la Caroline, sir Walter Raleigh débarquait ses premiers colons (1584), il y avait dix ans déjà que dans Tenochtitlan, devenu Mexico, le premier autodafé de la sainte Inquisition avait coûté la vie à vingt et un protestants. Depuis plus d’un demi-siècle le Conseil des Indes appliquait aux dépendances d’entre-mer sa politique de défiance et de mystère et la Casa de Séville étouffait systématiquement l’essor commercial et entravait les relations d’un monde à l’autre. Ce sont là assurément des gages de dépérissement et des menaces de mort. Néanmoins, tout n’est pas dit. Une nouvelle ère, précisément, va commencer. Les Bourbons seront centralisateurs, mais ils entendront mieux leurs intérêts. Une contrebande effrénée va s’organiser d’ailleurs dans toute l’Amérique espagnole, à la faveur des guerres qui détournent l’attention de la mère patrie. À partir de 1748, celle-ci consentira à supprimer les galions, cette caravane annuelle à laquelle était attribué le monopole du commerce, et Charles iii établira des